Malgré les effets d’annonces, tout laisse présager que la future centrale de Lucciana démarrera au fuel lourd. Les conséquences en termes de santé humaine sont pourtant accablantes…
JEAN NICOLAS ANTONIOTTI,
PRÉSIDENT D’ARIA LINDA donne son éclairage sur la situation.
La centrale de Lucciana qui devrait entrer en service à l’automne 2013, va-t-elle fonctionner au fuel léger, au fuel lourd, au gaz naturel ? On finit par ne plus s’y retrouver…
Faisons le point : le fuel lourd est très dangereux pour la santé. Le fuel léger est moins polluant. Le gaz naturel serait préférable.
Aussi, quand EDF soutient que la centrale de Lucciana va démarrer au fuel léger, on pourrait presque se réjouir ! Hélas, dans la réalité, tous les documents officiels imposent le fuel lourd.
Il en est ainsi de la Programmation pluriannuelle des investissements de 2009 (PPI) qui détermine la politique énergétique de la France. Elle évoque bien un fonctionnement possible au gaz naturel. À condition, ajoute-t-elle, que le gazoduc Algérie, Sardaigne, Italie (Galsi) soit réalisé et que la Corse y soit raccordée. Or, chacun sait que les conditions favorables à la réalisation du Galsi ne sont plus réunies. Les Algériens ont d’ailleurs repoussé leur décision d’investissement.
D’autres documents officiels vont dans le même sens ?
Nous avons donc trois textes officiels qui confirment le fuel lourd. Ce sont les seuls en vigueur : un arrêté ministériel publié en 2008, et un arrêt préfectoral du 14 septembre 2010 qui confirme cette orientation.
Pourquoi se battre pour un démarrage au fuel léger, quels sont les enjeux ?
Malgré les enjeux économiques, l’Organisation mondiale de la santé vient de reconnaître que les émissions des moteurs diesel sont cancérogènes. Or, les émissions des moteurs au fuel lourd des centrales thermiques sont encore plus impactantes pour la santé car ils émettent plus de microparticules.
D’où l’importance d’avoir une alternative de court terme et de faire fonctionner les centrales corses au fuel léger…
En l’attente du gaz naturel, prévu en 2018, la centrale de Lucciana pourrait fonctionner au fuel léger mais cette hypothèse est soumise à une décision budgétaire. Le surcoût d’exploitation fioul léger/fioul lourd est de plus de trente millions d’euros par an. Soit 150 millions d’euros pour les cinq prochaines années de transition. Seule une décision ministérielle, sur proposition de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) autoriserait une exploitation au fioul léger.
Trente millions d’euros par an, qui doit financer ?
La France dispose d’un système de péréquation tarifaire permettant que s’applique un tarif unique des kilowatts quelles que soient les problématiques de coût de production. Les îles bretonnes, par exemple, sont très isolées, ou encore la région de Nice fait venir son énergie de très loin…
Vous pouvez visualiser cela sur votre facture d’électricité. La ligne CSPE ou Contribution au service public d’électricité s’élève à 6/8 € par mois. Elle permet de constituer un fonds alimentant la solidarité nationale. C’est sur cette ligne budgétaire que sont prélevés les surcoûts de production dus aux particularités locales.
Pourquoi la Commission de régulation de l’énergie n’a-t-elle rien décidé ?
La volonté n’y est pas. Après Fukushima, il a fallu sécuriser les centrales nucléaires. Récemment La CSPE a d’ailleurs été augmentée pour permettre de compenser les surcoûts de la production nucléaire.
Vous dites qu’EDF ne travaille pas à perte en Corse, qu’est-ce que cela signifie ?
D’une part que les surcoûts de production inhérents aux spécificités locales sont intégralement compensés par la CSPE.
D’autre part, depuis mars 2006, le taux de rémunération des capitaux investis par EDF en Corse et dans les DOM, a été porté à 11%. Ce qui est bien plus avantageux qu’en métropole où le taux « n’est que » de 6,5 %.
Cette décision du ministère des finances a été prise après la panne de 2005 ; après qu’une commission d’enquête ait montré pourquoi EDF n’avait plus investi en Corse. L’industriel avait laissé l’outil de production se dégrader : la centrale de Lucciana a notamment perdu plusieurs moteurs qui n’ont pas été renouvelés.
L’État affirme que la centrale de Lucciana fonctionnera d’abord au fuel léger pour basculer en 2018, au gaz naturel…
La question est de savoir si nous avons des garanties sur cet effet d’annonce car les moteurs commandés peuvent marcher avec tout type de combustible. Dans les faits, ce qui compte c’est d’observer que le démantèlement de l’ancienne centrale n’est pas envisagé et qu’elle restera raccordée au dépôt de fuel lourd de Pinetu. Il n’est pas impensable qu’elle puisse rester en réserve pour pallier les défaillances de sa remplaçante. D’autant que la nouvelle centrale devrait démarrer avec quatre moteurs, et non sept comme prévus. Cela signifie qu’on aura une puissance équivalente à l’actuelle centrale.
Donc en cas de coup dur, l’ancienne centrale serait réactivée…
C’est ce qui se pratique dans l’hexagone.
Quid de la surveillance des retombées des micro-particules aux abords des centrales ?
Il y a bien des cabines de mesure de la pollution industrielle à Lucciana et Piataniccia mais leur implantation est sujette à caution. Par exemple, la pollution est mesurée à 5 km de la centrale du Vaziu.
En ce qui concerne le traitement des fumées ce n’est pas mieux. La centrale du Vaziu est équipée de catalyseurs depuis 2007 mais ce n’est pas le cas à Lucciana. Comme la population riveraine ne s’est pas faite insistante, la Drire de l’époque (Dreal actuelle) avait considéré que la dépollution n’était pas nécessaire.
Pour revenir au démarrage de Lucciana au fuel léger, que faudrait-il pour débloquer la situation ?
Que l’État prenne une décision rapidement. Idem pour l’acheminement du gaz entre Aiacciu et Bastia. Quel que soit le mode d’alimentation en gaz retenu, il faudra plusieurs années pour le réaliser. Une nouvelle Programmation pluriannuelle des investissements doit préciser cela. La Corse doit également préparer sa transition énergétique afin de réduire sa trop grande dépendance aux fossiles et valoriser enfin son patrimoine énergétique renouvelable.