L’île de Giraglia est une île inhabitée au nord de la Corse. Deux types de geckos (des « lézards » caractérisés par la possession de ventouses sous les doigts) coexistent et y sont donc en compétition : le Gecko de Maurétanie et le Phyllodactyle d’Europe.
Le gecko de Maurétanie (Tarentola mauritanica, Tarenta en langue corse) est un grand gecko, robuste ; ses orteils sont élargis et possèdent 12 lamelles adhésives (voir photo).
Il semble en extension actuellement en Corse. Le spécialiste Anthony Russell de l’Université de Calgary le décrit comme “un colonisateur vigoureux et un prédateur vicieux” qui s’engage dans des conflits territoriaux féroces et a un don un peu particulier, mais radical, pour éjecter de son territoire les autres espèces de geckos : « il les dévore ».
Le Phyllodactyle, Euleptes europaea, est un petit gecko (7 cm au maximum) dont l’extrémité des doigts porte 2 grandes plaques séparées par un sillon dans lequel se rétracte une griffe. C’est une espèce très ancienne, endémique d’une partie de la Méditerranée occidentale, aujourd’hui en régression en France et en Tunisie.
(a) Euleptes europaea (avec ses ventouses rondes et ses griffes ) et (b) Tarentola mauritanica (avec ses lamelles adhésives). Russell, A.P. and Delaugerre, M.-J Journal of Zoology DOI : 10.1111/jzo.12390 (2016).
Sur l’île ont été érigés en 1573 une tour, en 1848 un phare et en 1950 une salle des machines pour alimenter le phare. (Le gecko de Maurétanie semble être arrivé en même temps que la salle des machines).
Le Phyllodactyle, Euleptes europaea, occupe, imperturbable, toute l’île et la population de Tarentola mauritanica est cantonnée au bâtiment de la salle des machines.
Le gecko de Maurétanie y serait-il moins belliqueux ou n’a-t-il pas pu engager la bataille ? C’est la question que s’est posée Michel Delaugerre, herpétologue, membre du CSRPN et Chargé de mission au Conservatoire du littoral.
L’explication tient à la géologie de l’île et… aux pattes de ces reptiles.
L’île est composée de prasinite, schiste si friable que les roches sont couvertes de poussières. Alors que les lamelles adhésives du gecko de Maurétanie lui permettent de s’accrocher au béton, elles ne lui permettent pas de se promener sur Giraglia car, composées de milliards de structures minuscules, elles sont rapidement saturées par des cristaux microscopiques s’écaillant des roches : leur nettoyage devenant impossible… elles ne peuvent plus assurer leur fonction.
Et le Phyllodactyle ? Suivant le support, il utilise soit les deux ventouses rondes de chaque doigt, soit ses griffes rétractiles. Sur le support poussiéreux il utilise ces dernières et se moque de la poussière !
L’environnement favorise ici une espèce plus petite, plus fragile, moins nombreuse… la raison du plus fort n’y est pas la meilleure ! La Corse offre une jolie leçon de l’histoire évolutive des espèces.
Quant au gecko de Maurétanie, il n’est pas malchanceux : il y a assez d’insectes et d’araignées dans sa « prison » pour assurer sa survie.
Elle est pas belle la vie sur Giraglia ?
Russell, A. P., and M.-J. Delaugerre. “Left in the Dust: Differential Effectiveness of the Two Alternative Adhesive Pad Configurations in Geckos (Reptilia: Gekkota).” Journal of Zoology, October 2016. doi:10.1111/jzo.12390.