Après le jugement du Tribunal Administratif annulant la carte des espaces stratégiques agricoles (ESA) du Padduc, la protection des terres agricoles a-t-elle disparu ? Les partisans du béton pour résidences secondaires vont -ils pouvoir donner libre cours à leur insatiable appétit ? Les lois Alur, Littoral, Montagne, Grenelle ne s’appliquent-elles plus ?
Pour répondre à ces questions, une seule solution : vérifier ce que dit vraiment le T A dans ses attendus.
1) Pourquoi le TA a t-il annulé la carte des ESA ?
« Il est constant que, pendant la durée de l’enquête publique, deux jeux de carte des ESA à 1/50 000 ont été successivement mis à disposition du public, l’un du 4 au 27/05 2015 comportant une extension maximale des ESA, correspondant à la localisation des ESA telle qu’envisagée à ce stade par la CTC, le second à partir du 28/05/2015 et jusqu’à la fin de l’enquête, comportant une extension réduite ; qu’il n’est pas plus contesté que la présence au dossier de la carte dans son deuxième état résulte d’une erreur de l’autorité organisatrice de l’enquête qui n’a jamais été corrigée ; qu’ainsi, toutes les personnes qui ont participé à l’enquête publique entre le 28/05 et le 3/07 ont trouvé au dossier de l’enquête publique une carte des ESA erronée; que cette erreur, qui portait sur un des points principaux du Padduc pour une surface que la CTC évalue elle -même à 10 % soit environ 10 000 ha d’ESA, n’a pas permis à ces personnes d’apprécier exactement les enjeux et impacts du projet en litige et les a privés d’une garantie. »(P 5 N°11)
Le TA a donc annulé la carte des ESA uniquement pour un problème de forme, parce que l’Exécutif de la CTC, « aux manettes » en mai 2015, a commis cette erreur dans le cadre de l’enquête publique. Les ESA ne sont pas remis en cause. La preuve ?
2) Le TA confirme-t-il l’obligation pour les maires de délimiter les ESA dans leurs documents d’urbanisme ?
« Considérant qu’en application du II de l’article L 4424-11 du code général des collectivités territoriales de Corse, les dispositions du Padduc relatives aux ESA sont opposables aux tiers en l’absence de document local d’urbanisme dans le cadre des procédures de déclaration et de demandes d’autorisation prévues au code de l’urbanisme ; qu’il appartiendra aux communes et leurs groupements de délimiter ces espaces dans leurs PLU dans un rapport de compatibilité en tenant compte, d’une part, du principe de solidarité et de la ventilation par communes des ESA, d’autre part, des emprises manifestement artificialisées, des secteurs constructibles des documents d’urbanisme en vigueur et des besoins justifiés d’urbanisation et d’équipements , qu‘il appartiendra également aux documents d’urbanisme de délimiter, dans le même rapport de compatibilité, les ERPAT. »
Il est étonnant que cet attendu essentiel du jugement ait échappé à ceux qui se sont félicités de l’annulation de la carte des ESA !
Le TA confirme donc clairement que les communes doivent délimiter les ESA en application du Padduc.
Les ESA ne sont donc pas remis en cause. Les critères alternatifs pour les identifier et les délimiter demeurent opposables aux tiers comme aux communes.
Le Padduc applique les Lois Alur, Littoral, Grenelle pour préserver les terres agricoles et limiter l’artificialisation de ces terres. Bien entendu, hiérarchie des normes oblige, ces lois demeurent opposables aux tiers comme aux communes !
3) Les critères du Padduc ont-ils été appliqués par le TA pour apprécier s’il y avait une erreur manifeste d’appréciation dans la définition du périmètre des ESA ? La réponse est oui, preuve que ces critères ne sont absolument pas remis en cause.
Après avoir constaté dans la zone de la plaine de Péri que « ces terrains sont manifestement artificialisés et bâtis » et qu’ils ne peuvent donc être des ESA, le jugement précise : « que s’agissant des autres secteurs de la commune, il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment des documents cadastraux et photographiques produits, que leur classement en ESA serait entaché d’erreur manifeste d’appréciation.» (p 10 N° 30).
4) Certains maires se plaignent que le Padduc remet en cause leur autonomie : le TA leur a-t-il donné raison ?
La réponse est clairement non : « Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, compte tenu de la marge d’appréciation ainsi laissée aux communes et à leurs groupements, la délibération attaquée, qui tient compte en même temps des objectifs posés par le législateur rappelés au point 14 et des droits des autres collectivités locales, ne méconnaît pas non plus le principe de libre administration des collectivités territoriales ou le principe d’interdiction de toute tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre ». (p 7 N° 17)
5) Les critères et indicateurs fixés par le Padduc permettant d’identifier et de délimiter les agglomérations et villages en Corse, de dire si une zone dans laquelle se trouvent des constructions présente un caractère urbanisé et donc « urbanisable » ont-ils été jugés illégaux par le TA ?
Le TA a-t-il jugé illégales les dispositions du Padduc visant à limiter les constructions et installations dans la bande littorale des 100 mètres ?
Là encore la réponse est deux fois non ! « Ces prescriptions apportent des précisions et sont compatibles avec les dispositions du code de l’urbanisme particulières à la montagne.»
S’agissant des règles applicables aux espaces proches du rivage :« Ces prescriptions apportent des précisions et sont compatibles avec les dispositions du code de l’urbanisme particulières au littoral. » (p 7et 8, N° 18-20)
Conclusion : Contrairement aux rumeurs, le TA dans son jugement n’a pas remis en cause les fondements du Padduc, que ce soit pour les ESA ou les dispositions visant à limiter l’artificialisation des sols dans les communes soumises aux lois Montagne ou Littoral. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire le jugement mais visiblement c’est trop demander à ceux qui rêvent de bétonner notre île !
Le jugement :