« Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal mais par ceux qui les regardent sans rien faire », se plaisait à affirmer Albert Einstein. A cet égard, il semblerait depuis quelque temps qu’un certain laisser-faire dans le domaine du respect des règles d’urbanisme ait du plomb dans l’aile. Sans bien sûr augurer béatement de l’avenir, un petit vent d’application de la loi paraît en effet souffler sur le monde judiciaire. En attestent les divers jugements intervenus au cours de ces dernières années. Tribunal administratif, tribunal judiciaire, Cour administrative d’appel, force est de constater que les magistrats se montrent de plus en plus rigoureux au regard des violations de tous ordres commises par ceux, maires, particuliers, entreprises, sociétés immobilières, pour lesquels respect de la législation et roupie de sansonnet ne font qu’un.
Porteurs de projets individuels ou de lotissements de plus ou moins grande taille, le Tribunal administratif de Bastia, dont l’activité dans le secteur de l’urbanisme n’a cessé de croître ces dernières années, ne manque de leur appliquer strictement les dispositions du code de l’urbanisme. Aussi, discontinuité de l’existant, espaces proches du rivage, zones à urbanisation diffuse, nombre de permis de construire délivrés au mépris du caractère inconstructible des lieux sont-ils annulés. Annulations auxquelles n’ont pas échappé non plus des PLU. En 2019, si celui de Siscu ne l’a été que partiellement, ceux de Prupià et de Cavru ont, pour leur part, été annulés dans leur intégralité.
De même, le gros projet commercial de Cervioni/Prunete (46 commerces et nombre de bureaux) a-t-il vu son permis de construire annulé en septembre dernier. Un projet plus énorme encore, celui de Purti Vechju (lieu-dit Carrucinu), dont le permis avait été annulé le 15 mai 2017, vient de connaître un sort identique par arrêt de la CAA confirmant la décision du TA de Bastia. Lequel a également déclaré illégal, ce 26 juin, le tracé du sentier littoral privatisant, à Murtoli, la « crique des célébrités ».
De leur côté, les contrevenants au droit de l’environnement ne semblent pas mieux lotis. Les remises en état d’importantes zones humides comblées, en particulier à des fins de parkings, l’une au profit du luxueux Domaine de Mesincu, l’autre, de 6 000 m2, au profit d’un paillotier à Purticciu/Casavone ont été ordonnées, fin 2019. Sans omettre, ce 7 septembre, l’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence en matière correctionnelle, laquelle a ordonné à P. Pifferini, en état de récidive légale et l’un des trois porteurs du centre de Ghjuncaghju, la remise en état du lit du Tavignanu, massacré par extraction de milliers de tonnes de sable et graviers.
Au cœur de ces décisions qui se contentent de remettre le droit et rien que le droit à sa juste place, les mesures prises en matière de démolition de constructions illégales font, elles, figure de phare. Certes, le Domaine de Mesincu à Cagnanu et Mrs M. et D. Amhan à Aiacciu ont tiré leur épingle du jeu en n’étant condamnés qu’à la démolition de certaines de leurs extensions illégales. Rien de tel pour la villa de M. Mury à Piana/Arone : c’est la démolition totale de sa bâtisse qui a été ordonnée, confirmation de la Cour de Cassation d’une décision rendue en 2018 par la Cour d’appel de Bastia. « La remise en état des lieux est une mesure adaptée à la réparation du dommage environnemental né des infractions et à la gravité de l’atteinte portée à un site remarquable par une construction illicite », précise l’arrêt dans ses attendus.
Frappé au coin du bon sens juridique qui veut que qui cause du tort le répare, ce raisonnement sera-t-il celui que suivront les magistrats de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence dans le dossier Ferracci ? C’est ce que l’avocat général qui a pris la parole à l’audience, n’a en tout cas pas manqué de faire valoir. Pour lui, « le maintien de la situation illicite perdurera tant que les causes existeront », précisant qu’il ne saurait être admis de « voir une amende, aussi élevée soit-elle, considérée comme une compensation à un préjudice environnemental ». A n’en pas douter, et eux plus que d’autres, les bâtisseurs sauvages seront attentifs à la teneur de l’arrêt à intervenir, ce 12 octobre.
Souvent, les lanceurs d’alerte connaissent le blues du prêche dans le désert. Avec le temps, il advient pourtant qu’une oreille plus attentive leur soit prêtée. Reste à souhaiter que le vent ne tombera pas et que son souffle propice ne sera pas d’essence trop éphémère…