Préambule. Ce texte n’analyse pas en détail le projet de plan déchets proposé par la collectivité de Corse (consultable sur son site) mais est un plaidoyer pour une méthode. Il suggère des pistes pour mettre en place un plan de gestion écoresponsable des déchets.
Une industrie convoitée
La gestion des déchets est devenue une industrie très rentable, convoitée par des groupes industriels. Ces derniers offrent aux collectivités publiques des solutions techniques miracles sous forme d’usines de valorisation thermique (jolie dénomination pour désigner des incinérateurs !), d’usines de tri valorisation ou d’usines de tri mécano-biologique accueillant le tout-venant des déchets ménagers pour produire en fin de chaîne des CSR (Combustibles Solides de Récupération) destinés à l’incinération « new-look ». Ce type de solutions se retrouve dans la plupart des études confiées à des cabinets spécialisés par les Régions afin de présenter leur plan déchets. La Corse n’y échappe pas.
Pour une vraie gestion publique
C’est pourtant une gestion publique des déchets, à l’exception de ceux issus des activités économiques (en principe gérés par les professionnels les produisant), qui a été confiée aux EPCI (Etablissements Publics de Coopération Intercommunale) c’est-à-dire nos intercommunalités, par l’article L5214-16 du code général des collectivités publiques modifié par la loi Notre (7 août 2015).
La planification de la prévention et de la gestion des déchets couvrant l’ensemble des déchets, dangereux, non dangereux et inertes, est dévolue aux exécutifs régionaux. Cela explique pourquoi la Collectivité de Corse s’apprête à finaliser son plan déchets intitulé « Plan déchets et économie circulaire ». Celui-ci se doit de respecter les objectifs à atteindre fixés par l’Etat : la LTECV (Loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte) de 2015 et la loi AGEC (Anti-Gaspillage et pour l’Economie Circulaire) de 2020. Il doit aussi tenir compte des objectifs fixés par l’Union Européenne qui donne la priorité à la prévention, au réemploi et au recyclage avant la valorisation énergétique et l’enfouissement. » (Directives européennes de 2008 et 2018)
La compétence opérationnelle de la gestion des déchets concerne la collecte et le traitement.
- La majorité des EPCI a délégué au Syvadec, syndicat mixte émanation des communautés de communes, le traitement des déchets.
- Les intercommunalités assurent la collecte : sacs noirs ou bacs gris pour le non-trié, sacs ou bacs verts, jaunes ou bleus pour le trié, et enfin encombrants en général avec leurs moyens propres.
- Le Syvadec, par délégation des EPCI, a la compétence du transport des déchets depuis ses quais de transfert jusqu’aux centres d’enfouissement pour le non-trié, jusqu’aux usines de tri et de valorisation pour le trié et la compétence du traitement des déchets (élimination ou valorisation).
- En réalité, le Syvadec délègue le transport et le traitement des déchets à des sociétés privées à l’issue d’une procédure de passation de marchés publics.
Ainsi la gestion publique des déchets en Corse n’est pas une gestion directe en régie, comme le pratique un grand nombre de collectivités locales, mais une gestion déléguée de fait à des sociétés privées.
Il n’est donc pas étonnant que celles-ci :
- soient intéressées par le transport maximal et tous azimuts des déchets, en Corse et hors de Corse,
- favorisent la création de centres d’enfouissement, comme Ghjuncaghju ou Moltifau,
- proposent des usines clefs en main.
Si la CDC a le pouvoir d’établir un plan, celui-ci, pour réussir, a besoin que le Syvadec et les Communautés de Communes l’appliquent. Les Corses trient de plus en plus, c’est indéniable. Pourtant les communautés de communes, hormis celle de Calvi-Balagne, ont de grosses difficultés d’organisation ou surtout ne manifestent pas une réelle volonté politique de mettre en œuvre un plan privilégiant le tri à la source et la valorisation des matériaux triés. Quant au Syvadec, il a tendance à mener sa propre politique sans véritable concertation avec ses partenaires …
Des moyens légaux pour faire appliquer un plan
De quels moyens de persuasion la CDC dispose-t -elle pour obliger les communautés de communes et leur syndicat le Syvadec à respecter le plan ?
- En introduisant des bonus-malus financiers, comme c’est fait en Sardaigne, dans les conventions qui régissent la gestion des déchets entre la CDC et les EPCI.
- En imposant des conditions de résiliation en lien avec la qualité du service rendu dans les cahiers des charges des marchés publics entre les EPCI, le Syvadec et les entreprises privées.
Il serait bon que CDC et EPCI réfléchissent à une vraie gestion publique qui les rende moins dépendants des sociétés privées délégataires.
- De quels moyens l’État et la Collectivité de Corse disposent-ils pour inciter les communes et leurs EPCI à s’emparer de la problématique déchets ? En imposant la présence, dans le PADD des PLU communaux, d’un diagnostic gestion des déchets et des moyens de mise en œuvre d’un plan local en liaison avec le plan régional : sensibilisation des habitants au tri, création d’une aire de compostage, achat d’un broyeur de végétaux, suppression des décharges sauvages, mobilisation des associations citoyennes, etc. De toute manière, y compris si la gestion des déchets est dévolue aux intercommunalités, le maire d’une commune peut prendre les mesures nécessaires pour faire respecter la salubrité publique sur son territoire.
- De quels moyens disposent la CDC et les communautés de communes pour inciter le citoyen à produire le moins possible d’OMR (ordures ménagères résiduelles) ? En instaurant une redevance incitative, prévue par la loi mais jusqu’à présent facultative. Elle lie le montant payé par les usagers à la quantité des déchets qu’ils produisent. Il est évident que cette taxe, qui donne de très bons résultats là où elle est appliquée, suppose la mise en place des moyens humains et matériels nécessaires.
Rappel : la TEOM (Taxe enlèvement des ordures ménagères) apparaît sur la taxe foncière perçue par les services fiscaux, basée sur le foncier habité ; elle est particulièrement injuste et non basée sur la quantité de déchets produits. La REOM (Redevance enlèvement des ordures ménagères) est facturée à l’usager par la collectivité qui la met en place ; elle peut être forfaitaire ou incitative.
Actuellement, dans notre Île, l’organisation défaillante et la gestion chaotique des déchets coûtent de plus en plus cher aux particuliers comme aux collectivités.
Le choix d’une valorisation industrielle à tout prix ?
« Pour éviter un traitement des déchets qui bloque les ressources aux niveaux inférieurs de la hiérarchie des déchets, permettre un recyclage de qualité élevée et favoriser l’utilisation de matières premières secondaires de qualité, les états membres devraient veiller à ce que les bio déchets soient collectés séparément et subissent un recyclage qui satisfasse un haut niveau de protection de l’environnement et dont le résultat réponde à des normes de qualité élevées. » (Directives européennes sur les déchets de 2008 et 2018)
Il est donc évident que la création d’un incinérateur, au cœur du premier projet de plan territorial de 2006 et envisagée lors d’une première présentation du nouveau plan déchets par la collectivité de Corse, contrevient au respect de la hiérarchie de la gestion des déchets, notamment la nécessité de recycler/composter au maximum, y compris par l’économie circulaire, sans parler des atteintes à la santé humaine (pollution de l’air et des sols).
Il en va de même pour les usines de « tri valorisation » prévues par le Syvadec et soutenues par la CAB et la CAPA : elles ne permettront pas de recycler les matériaux pollués par leur mélange avec les fermentescibles dans les poubelles grises et de valoriser en un compost de qualité les fermentescibles eux-mêmes souillés (par des plastiques, des piles, etc.). Ce traitement, peu efficace, augmente le tonnage des déchets destinés à l’enfouissement (voir la publication jointe de l’association Zeru Frazu).
Cette énergie produite n’est pas vraiment renouvelable : elle vient de l’incinération de produits d’origine fossile (plastiques) et l’incinération détruit des matériaux et objets qui ont nécessité de l’énergie pour être produits. La plupart des plans déchets, et le plan déchets de la Corse n’y échappe pas, ressemblent à des plans énergie tant ils favorisent les procédés thermiques d’élimination en tant que valorisation (trompeuse) des déchets.
Sortir la Corse de l’impasse actuelle : Eviter Réduire Compenser
Les collectivités locales ont donc à leur disposition une série de réglementations, études, dispositifs et aides pour mettre en place une gestion vertueuse des déchets, en particulier celle qui en produit le moins possible : « le meilleur déchet est celui que l’on ne produit pas ». Aucun besoin de faire appel à un cabinet d’études, il s’agit d’assumer ses responsabilités d’élu et d’affirmer une vraie volonté politique de mettre en place une organisation qui ne soit plus une prestation de service mais une volonté partagée et citoyenne de participer à une démarche d’intérêt public. Cette organisation prend du temps. Cependant dès que la dynamique est enclenchée dans une ou deux microrégions, elle peut se développer très vite sur tout le territoire. Des signes encourageants sont donnés dans l’île dans ce sens.
Notre situation est critique. Il faut trouver des solutions au plus vite disent nos politiques de tout bord. Cela se traduit par un plan qui confie à des industriels le soin de nous débarrasser des déchets par la création d’usines qui ont besoin d’un tonnage important pour être rentables. C’est donc un encouragement à produire des déchets plutôt qu’à les réduire. Tout le travail en amont effectué pour responsabiliser la population, la sensibiliser à une problématique qui la conduit aussi à réfléchir sur son mode de vie consumériste est réduit à néant. Consommez, jetez, payez, polluez et on s’occupe de vos rejets ou plutôt on les offre à des sociétés qui vont en tirer profit au détriment de votre santé et de votre porte-monnaie. Au moment où on s’est enfin aperçu par la force des choses que la protection de l’environnement est essentielle pour préserver la santé et que l’on est à la recherche d’un autre mode de vie, on ne peut concevoir que soient mis en place des dispositifs de gestion des déchets qui vont accentuer la pollution.
Alors, il convient d’être patient et volontariste : continuer une vraie politique concertée de tri à la source et se donner les moyens de la faire appliquer. Quitte à ce que durant le temps nécessaire à la réussite de ce plan, le surplus de déchets de la période touristique, sans possibilité actuelle d’enfouissement, aille alimenter le seul incinérateur ou la seule usine restant dans une Sardaigne qui veut les supprimer.
La charte pour l’environnement de 2004 et la loi Grenelle de 2009 inscrivent la démarche Éviter, Réduire, Compenser (ERC) comme fil conducteur incontournable d’intégration de l’environnement dans tous les projets plans et programmes. Dès lors, tout plan déchet doit s’y conformer. Éviter et réduire relèvent de la volonté des citoyens, comme de celles des collectivités qui doivent leur donner les moyens et l’envie de le faire. Réduire et compenser impliquent un recyclage utile, de qualité et réutilisable le plus possible sur place pour limiter l’empreinte carbone et créer des PME en économie circulaire. Le déchet devient alors une ressource d’intérêt public.
Malheureusement la tendance des plans actuels est d’étudier toutes les mesures pour se débarrasser des déchets au plus vite, en éliminant (incinération), enfouissant, ou exportant au profit d’entreprises qui en tirent bénéfice, supprimant ainsi toute phase d’accompagnement nécessaire à la réalisation de la démarche ERC.
Conclusions : d’une stratégie industrielle à une dynamique citoyenne
Pour que son plan soit vertueux, écoresponsable et durable, il convient que la Collectivité de Corse poursuive sa politique de tri à la source et collecte séparée pour une réduction de la production des déchets et leur valorisation la plus locale possible. L’installation d’unités d’incinération, d’usines de tri valorisation thermique ou de tri mécano biologique, de centres d’enfouissement surdimensionnés est incompatible avec cette politique : c’est une approche industrielle de la gestion des déchets en lieu et place d’une dynamique citoyenne indispensable à la réussite de tout plan déchet éco-responsable.
La solution la plus logique, la plus efficace, la moins coûteuse, la moins polluante, c’est la multiplication au sein des communes comme au sein des intercommunalités de petites structures et d’unités de proximité en tenant compte de la topographie des microrégions. C’est possible et souhaitable et cela a été expérimenté avec succès ailleurs. Par exemple, la gestion des bio déchets nécessite :
- en milieu rural, des petites plateformes de compostage en extérieur
- en milieu urbain (Ajaccio et Bastia), un centre fermé de compostage de capacité suffisante sous atmosphère contrôlée.
Toutes les structures lourdes de grosses unités centralisées sont très coûteuses à construire et à entretenir, gourmandes en déchets, polluantes, rejetées par la population et d’une efficacité technique douteuse. Plus on manipule un déchet et plus on le transporte, plus il coûte cher et si ce sont des déchets en mélange moins ils sont recyclables et moins encore valorisables. Il convient donc que soit désormais cartographiée sur tout le territoire l’implantation de ces unités en relation avec une économie circulaire associative ou en PME. Ne seraient plus exportés pour valorisation que les emballages triés, le verre, le papier, … et diverses catégories d’encombrants non recyclables dans l’Île.
La Collectivité de Corse, vu son statut particulier, a les pouvoirs de construire un plan déchets éco-responsable, tout en respectant des directives européennes et nationales qui incitent seulement à une gestion de qualité. Pour ce qui concerne la valorisation des déchets par l’économie circulaire dont elle se targue dans la rédaction de son plan, il suffit de se référer à la feuille de route de l’économie circulaire FREC (ci jointe), disponible sur le site de la CDC.
Or le projet en construction du Plan territorial de prévention et de gestion des déchets qui va être présenté pour avis à l’assemblée de Corse n’est pas un plan éco responsable tel que nous venons de le définir.
Il convient donc que, dans le cadre de son processus d’élaboration, une réflexion soit menée à nouveau à ce sujet en associant au sein d’un comité de pilotage les institutionnels régionaux et nationaux et les associations citoyennes, pour que soit atteint l’objectif défini comme stratégique et prioritaire par le président de l’Exécutif sur le rapport de présentation du plan « faire de la Corse un territoire pionnier et volontariste en matière de tri… par la généralisation du tri à la source».
Quels sont les organismes de conseil et de contrôle ?
L’ADEME, Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, est un organisme d’État qui soutient les politiques en faveur de l’environnement, en particulier les énergies renouvelables. Elle aide les collectivités locales à mettre en place des politiques publiques. Ainsi a–t-elle produit le guide joint. Elle a mis en garde contre la construction des usines de tri valorisation (TMB) comme celles prévues en Corse… Mais, dorénavant, elle encourage la production énergétique de chaudières alimentées par des résidus de déchets produits par ce type d’usines…
La DREAL, Direction régionale de l’environnement de l’aménagement et du logement, joue aussi un rôle dans le contrôle et la mise en œuvre de la politique nationale et régionale en matière d’environnement. Son avis est sollicité pour évaluer si les projets de création de structures de traitement ou d’enfouissement des déchets respectent les règles de protection de l’environnement.
L’Observatoire territorial des déchets regroupe l’Office de l’Environnement de la Corse, l’ADEME et la DREAL. Il chiffre les gisements de déchets, recense les divers équipements et évalue les coûts de la gestion des déchets. Il est consulté pour l’élaboration du plan déchets.
Compléments :