U Levante et ABCDE ont déféré au Tribunal administratif l’arrêté autorisant les bateaux de 24 mètres et plus à mouiller près du rivage dans le golfe de Sant’Amanza, commune de Bunifaziu.
1 – L’arrêté préfectoral n° 155/2016 du 24 juin 2016* a réglementé le mouillage des navires de longueur supérieure ou égale à 45 mètres dans les eaux intérieures et territoriales françaises de Méditerranée. Cet arrêté délimite des zones de mouillage (rectangles ou cercles rouges) tout le long des côtes corses.
Premier bilan : Le nombre des zones de mouillage pour grosses unités est limité. Il n’y en a ni au droit d’Arone, ni au droit de Cupabia, ni au droit de Balistra par exemple. Elles sont assez éloignées du rivage et en eau assez profonde.
2 – L’arrêté préfectoral n°123/2019 du 3 juin 2019**
En 2018, 1/8ème de la flotte mondiale de la grande plaisance (c’est-à-dire les bateaux de longueur supérieure à 24 m) a mouillé sur le littoral de la Corse. 44 % ont mouillé sur le littoral de la commune de Bonifacio et 77 % des navires qui se sont ancrés dans les Bouches de Bonifacio sont dans l’herbier : ils ne respectaient donc pas l’arrêté de 2016. La Réserve Naturelle des Bouches de Bonifacio subit donc la plus forte pression d’ancrage des yachts dans les herbiers. Les autres zones impactées sont le golfe de Portu Scandula (40 %), le golfe de San Fiurenzu (39 %), la baie de Calvi (20 %), le golfe d’Aiacciu (19 %).
Or le mouillage des bateaux est responsable de dommages physiques très importants sur les habitats marins sensibles comme les herbiers.
Comment ont réagi l’État et les communes concernées face aux dégâts causés aux écosystèmes des herbiers de posidonies, de cymodocées et de cystoseires dont le maintien est vital pour la biodiversité et le climat ? La destruction de l’herbier étant un délit au titre du code de l’environnement, le mouillage en zone interdite par AP PREMAR est un délit au titre de l’ordonnance 2016-1687 du 8/12/16. L’arrêté préfectoral n°123/2019 du 3 juin 2019 a donc interdit de mouiller dans une zone où sont présentes des espèces végétales marines protégées (article 6).
Deuxième bilan : Le mouillage des navires ne doit ni porter atteinte à la conservation, ni conduire à la destruction, à l’altération ou à la dégradation d’habitats d’espèces végétales marines protégées. Il est ainsi interdit de mouiller dans une zone correspondant à un habitat d’espèces végétales marines protégées lorsque cette action est susceptible de lui porter atteinte.
Attention ! Le mouillage s’entend comme le fait d’immobiliser le navire à l’aide d’une ancre reposant sur le fond de la mer, excluant ainsi l’amarrage sur un coffre ou une bouée, lequel constitue un arrêt de la navigation.
Attention, dérogations possibles ! L’arrêté ne s’applique pas aux zones de mouillages et d’équipements légers (ZMEL), ni aux équipements, coffres et bouées, bénéficiant d’une autorisation d’occupation du domaine public maritime délivrée par le préfet de département.
3 – L’arrêté préfectoral n°206/2020 du 14 octobre 2020*** réglemente le mouillage et l’arrêt des navires de 24 m et plus dans le périmètre de la réserve naturelle des Bouches de Bonifacio (=RNBB)
En cohérence avec le principe de précaution, et en accord avec le gestionnaire de la RNBB, les autorités maritimes ont publié cet arrêté qui n’autorise l’ancrage des unités supérieures à 24 m, dans le périmètre de la RNBB, que vers le large et au-delà d’une limite prédéfinie (isobathe -40 m environ).
Troisième bilan : Les grosses unités ne peuvent pas mouiller ou s’arrêter dans une bande située entre le rivage et une limite tracée en rouge
Exemple : zoom sur le golfe de Sant’Amanza
Bilan : les unités de 24 m et plus doivent donc rester éloignées du rivage et en eau assez profonde. Ces arrêtés sont protecteurs et leur importance pour la survie de la biodiversité et leur intérêt pour la défense du patrimoine commun sont évidents.
Mais des dérogations sont possibles…
4 – L’arrêté inter-préfectoral 2A-2021-05-31-00001 du 31/05/2021**** Mais… parce qu’ils représentent un apport économique capital pour la commune et en totale contradiction avec l’idée force des arrêtés ci-dessus cités, la mairie de Bonifacio, en accord avec les services de l’État, décide en 2020 d’installer une zone de mouillage et d’équipements légers (ZMEL) à Sant’Amanza pour accueillir les bateaux de plus de 24 m.
Plusieurs projets sont proposés, basés sur des mouillages dits écologiques (type vis à sable), en dehors de l’herbier et de la matte morte (qui est aussi protégée). Cette approche qualifiée d’« écoresponsable » est validée par la RNBB et le Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel (CRSPN).
En janvier 2021 le CSRPN est informé que le projet consistera en l’installation de 16 corps morts posés sur de la matte morte (plus ou moins recouverte par du sable), très proche de l’herbier (contrairement aux préconisations du CSRPN/DREAL qui demande une distance de 50 m au minimum…).
Après de nouvelles réunions, en accord avec la mairie de Bonifacio, le préfet prend l’arrêté 2A-2021-05-31-00001 du 31/05/2021 portant autorisation d’occupation temporaire du domaine public maritime le long du littoral de la commune de Bonifacio pour la mise en place de deux zones de mouillage léger composées de 14 coffres d’amarrage dédiés aux navires de 24 mètres et plus sur une surface de 601 433 m2 dans le golfe de Sant’Amanza.
Bilan : La superposition des ZMEL, très proches de la côte, et de la carte des biocénoses benthiques du golfe (cartes ci-dessous) montre qu’une grande partie des deux ZMEL se situe au-dessus des herbiers qui seront donc forcément dégradés même si l’implantation des blocs de béton support des ancrages est prévue dans le sable.
5 – Cet arrêté appelle de nombreuses observations :
A – Alors que l’arrêté de 2020 n’autorisait le mouillage des grosses unités qu’au large (ou dans les ports !), celui de 2021 les autorise à mouiller très près du rivage. Comprenne qui pourra !
B – À Sant’Amanza, les gros bateaux responsables de dégâts importants y mouillaient en toute illégalité par rapport aux arrêtés de 2016 et de 2020. Mais, à la connaissance de U Levante, ils n’étaient pas verbalisés. L’arrêté de 2021 rend leur mouillage légal …
C – Alors que la zone est partie intégrante d’une réserve naturelle créée dans un but de protection de la flore et de la faune, avec les ZMEL, ce sera “moins pire” qu’avant ! Ce “moins pire” sera quand même responsable de nouvelles destructions de surfaces des herbiers et de l’ensemble des êtres vivants qui y vivent.… Comprenne qui pourra !
D – Il favorise des personnes fortunées, au détriment des baigneurs lambda fréquentant la plage de Balistra. La présence de ces grosses unités de plus de 24 mètres génère aussi d’autres nuisances liées à une importante activité nautique composée entre autres de scooters des mers, de bateaux pour la pratique du ski nautique, de la pêche et des navettes incessantes pour acheminer les clients vers les paillotes avoisinantes, Santa-Manza, Capu Biancu, Maora… Les baigneurs risquent fort de nager entre les bateaux, au milieu des vapeurs d’essence et dans une mer dont la surface pourrait être recouverte d’une pellicule d’hydrocarbures.
E – Les corps morts dits “écologiques” ne sont autres que d’énormes et
classiques blocs de béton.
F – La CDC et l’État ont, hélas, exprimé leur volonté de « positionner la destination Corse pour la plaisance et la grande plaisance » et de développer un nautisme international. Alors que cet arrêté de 2021 est pris officiellement pour concilier la pression touristique et la préservation des sites littoraux afin d’accueillir en dehors des ports la grande plaisance dans le cadre d’un plan global en faveur de la mer et des activités nautiques et maritimes intégré au volet « Relance » du plan « Salvezza è Rilanciu », il ne peut être considéré comme favorisant un nautisme durable et préservant des espaces maritimes sensibles. Il favorise en réalité un « tourisme de classe »… la classe la plus favorisée.
G – Les mastodontes de croisière transportant des milliers de passagers seront-ils bientôt autorisés à mouiller également très près des côtes comme ils avaient été autorisés à entrer dans la lagune de Venise ? Au rythme où va la Corse il n’est pas interdit de l’envisager dans un futur proche.
H – Le quotidien Corse Matin du 24/08/2021 annonce que les coffres permettant le mouillage des unités de plus de 24 m sont opérationnels à Sant’Amanza depuis quelques jours et, citant l’adjointe en charge des affaires maritimes de la commune : « Les coffres ont été installés en à peine plus d’un an. » L’arrêté pris au nom de la protection ne serait-il qu’un arrêté de régularisation de travaux effectués sans autorisation préalable ?
I – Cet arrêté a été pris sans consultation du Conseil des Sites et sans enquête publique, obligations légales du code de l’environnement.
En définitive, c’est la compatibilité même des grands navires de plaisance à proximité des côtes de Corse qui se pose et, une fois encore, celle du choix du mode de développement que l’on désire.
U Levante et ABCDE ont déféré pour cette raison cet arrêté du 31 mai 2021 au Tribunal administratif.
* : http://reglementation-polmer.chez-alice.fr/Textes/arrete_prefectoral_155-2016.pdf
**** : http://www.corse-du-sud.gouv.fr/IMG/pdf/recueil-2a-2021-081-recueil-des-actes-administratifs.pdf