Comment offrir les plus beaux sites à la classe la plus fortunée ?
Rien de plus facile : il suffit de « Positionner les navires dans des sites fréquentés pour leurs atouts naturels ». Positionner ? Synonyme : décréter que les autorités y créent des Zones de mouillage et d’équipements légers (ZMEL) réservées à ces gros navires de plaisance.
« Sites fréquentés pour leurs atouts naturels » : comprenez les plus beaux sites naturels de Corse.
Un exemple ? La première zone de mouillage a été fonctionnelle pendant l’été 2021 dans le golfe de Sant’Amanza, en bordure de la plage de Balistra, dans la réserve naturelle des Bouches de Bunifaziu : https://www.ulevante.fr/lattaque-vient-de-la-mer-la-pression-de-mouillage-des-yachts-en-corse/
Un deuxième exemple ? Il est prévu un « laboratoire de mouillages organisés grande plaisance et paquebots sur 3 sites sensibles très fréquentés, Girolata (site classé, zone inscrite au patrimoine UNESCO), Revelatta (zone Natura 2000) et baie de Calvi, pour l’élaboration d’un modèle technique, environnemental et économique ».
C’est en tout cas ce que l’on peut lire dans le document publié par l’ADEC (Agence de développement économique de la Corse) datant de 2017, intitulé
RÉSEAU DE MOUILLAGES ORGANISÉS À HAUT NIVEAU DE SERVICES DÉDIÉS À LA GRANDE PLAISANCE ET À LA CROISIÈRE EN CORSE *
Le scénario est donc en place depuis quelques années.
Le mouillage des grosses unités de la grande plaisance est réglementé par l’arrêté préfectoral n°155/2016. Les zones de mouillage autorisées et cartographiées par cet arrêté sont assez loin des rivages, sur des fonds de plus de 30 mètres en général, loin des plus beaux rivages et des plus belles plages. Exemple celui au large de la marine de Solaro, sur la côte orientale.
Afin de contourner cet arrêté, il suffit de « mailler progressivement la Corse d’un réseau de mouillages à haut niveau de services dédiés à la grande plaisance » (PADDUC, SMVM, annexe 6, livre II, pages 54 et suivantes) et ce à quelques mètres seulement du rivage. Une carte de ces possibles emplacements est même publiée :
Pourquoi avoir choisi des mouillages en face et près des sites terrestres les plus beaux de Corse ? La raison nous est donnée : « Les yachts et les paquebots fréquentent la Corse pour ses atouts naturels ; ils ne souhaitent pas nécessairement faire escale dans les ports qui ne peuvent plus les accueillir au-delà d’une certaine taille ; ils fréquentent donc les mouillages forains calmes et non urbanisés, le plus souvent dans des zones environnementales sensibles. » Va donc pour Balistra ou pour Girolata !
Et quand on lit sur le même document que, pour justifier cette offre d’accueil à la grande plaisance, un des défis que se donne l’ADEC est : « contourner les difficultés structurelles et organisationnelles des ports corses afin d’organiser un accueil de la grande plaisance maritime conforme aux attentes des navires, des armateurs, des capitaines et des clients concernés », on comprend quel est le véritable objectif de ce plan de mouillages.
Répondre à ces attentes, celles d’une clientèle de luxe, c’est aussi imposer des contraintes de nature à porter atteinte à la qualité de vie et à la santé à la population de l’île. Il est de plus en plus difficile pour un citoyen résidant dans l’île d’avoir accès à la mer tant le littoral est privatisé, le plus souvent d’ailleurs illégalement. Dans les plus beaux sites, il lui sera désormais impossible de nager au-delà des 30 mètres sans se heurter aux gros navires de plaisance au mouillage. Il subira les effets des pollutions aquatiques, aériennes, sonores, etc. Et tandis que les clients de la plaisance pourront eux contempler du haut de leurs navires le magnifique paysage de nos merveilleux sites naturels, l’homo corsicanus, lui, n’aura d’horizon qu’une barrière de navires de luxe. Faut-il rappeler qu’au moment où il est désormais prouvé que les effets désastreux du dérèglement climatique sont causés par les dégâts infligés à la nature par la main de l’homme, la préservation des écosystèmes est le garant de la survie ou, du moins à court terme, de la qualité de vie de l’espèce humaine qui n’est qu’un maillon de la chaîne de la biodiversité des espèces.
Rappelons que les moteurs des grands bateaux au mouillage tournent (besoin en électricité) et que les bruits et les vibrations sont des nuisances très perturbantes pour toute la faune (voir les travaux de Hervé Glotin) car il n’y a pas que des posidonies !, que les gros yachts possèdent souvent des héliports pour hélicoptères. Rappelons également que de nombreuses ZMEL dont la création est envisagée pour ces gros bateaux seront en site Natura 2000, voire en réserve naturelle (c’est le cas de Sant’Amanza), aires marines théoriquement protégées, et que le chapelet de lumières nocturnes autour de la Corse constituera une pollution lumineuse en particulier pour les oiseaux et les chiroptères. Rappelons enfin que les réserves naturelles ont été créées afin d’être des territoires d’excellence pour la préservation de la diversité biologique et géologique, terrestre ou marine. Elles constituent la mesure de protection la plus forte.
Dès lors, on peut s’étonner que les plans de relance mer de la collectivité territoriale de la Corse et de l’État, qui sont un appel d’offre préférentiel à la grande plaisance et aux sociétés de développement des activités de loisirs nautiques, ne tiennent aucun compte du rappel au respect du milieu naturel que nous incite à faire la pandémie que nous subissons. Au contraire, on saisit ce moment pour mettre en oeuvre de vieux projets de marchandisation du milieu marin tel que ce plan de mouillages.
Ainsi donc, après avoir perdu les littoraux terrestres de Cavaddu, Piantarella-Sperone, Rundinara, Santa-Giulia,etc., on offre une nouvelle fois les plus beaux littoraux encore vierges d’urbanisation aux plus fortunés… au nom évidemment d’un intérêt économique supérieur et évidemment en s’abritant sur la nécessaire protection des posidonies.
Ces projets de ZMEL pour la grande plaisance sont une caricature de ce qui conduit la Corse dans le mur. Les présenter comme des projets « écolo » est de la poudre aux yeux. Les Corses veulent-ils vraiment de ce modèle de développement ? Ne laisserons-nous aux générations à venir que l’impossibilité d’aller se baigner au large des sites naturels grandioses, dans une mer propre et non polluée par les rejets d’hydrocarbures et les déchets ? Les plus belles plages et les plus beaux littoraux encore naturels sont en danger.