Dans un article paru dans son édition du 14 juillet 2023, le quotidien Corse-Matin affirme que « malgré les déclarations de U Levante », le projet de centre de stockage des déchets de Ghjuncaghju ne serait « pas remis en cause par le rétablissement de la cartographie des espaces stratégiques agricoles ».
Qu’en est-il?
En droit français prévaut le principe d’indépendance des législations. Cela signifie que les autorisations requises en vertu du droit de l’environnement, du droit de l’urbanisme, du code forestier, etc., sont instruites et, le cas échéant, accordées les unes indépendamment des autres. Il est exact que l’exploitation de l’ISCN délivrée au titre du code de l’environnement, ne peut plus aujourd’hui être remise en cause, puisque les recours dirigés contre cette autorisation sont épuisés. Mais cette autorisation ne suffit pas pour que les centres de traitement des déchets de Ghjuncaghju voient le jour.
Les espèces protégées :
D’abord, comme le terrain où il est prévu d’implanter les centres abrite de nombreuse espèces protégées, la société Oriente Environnement doit impérativement,,avant d’aménager le site, obtenir une dérogation à l’interdiction de destruction des espèces protégées. Le Conseil national de protection de la nature aurait été saisi à cet effet, mais il n’a pas rendu son avis à ce jour et aucune dérogation n’a donc été accordée. Si la société Oriente Environnement s’avisait, dans ces conditions, de toucher au site, elle se rendrait coupable d’un délit.
Le permis de construire :
Ensuite, en vertu du principe d’indépendance des législations, ce n’est pas parce qu’une autorisation d’exploitation de l’ISDN a été accordée que la société Oriente Environnement obtiendra nécessairement les permis de construire pour la réalisation des bâtiments nécessaires à l’exploitation des centres.
Ces permis ne pourront en effet être délivrés que si les projets de construction sont conformes aux règles du code de l’urbanisme , en particulier à celles du PADDUC.
C’est là que le rétablissement de la carte des espaces stratégiques agricoles vient changer la donne, le terrain concerné étant identifié, sur la carte n° 9 du Padduc, comme un espace stratégique agricole. Il est donc par principe inconstructible. S’il peut être fait exception à ce principe pour un ISDN, c’est à des conditions très strictes, qui ne sont pas réunies en ce qui concerne le site de Ghjuncaghju, ainsi que l’a déjà jugé le tribunal administratif de Bastia qui a annulé, précisément pour cette raison, un premier permis de construire délivré en 2018 par le Préfet de Haute-Corse à la société Oriente Environnement.
Extrait du jugement du tribunal Administratif de Bastia* du 5 avril 2018, dossier 1600739, lecture du 5 avril 2018 :
« Les espaces stratégiques agricoles sont préservés. Ils sont régis par un principe général d’inconstructibilité. Dans ces espaces sont autorisés : (…) les constructions et installations nécessaires à des équipements collectifs ou à des services publics y compris les installations de stockage de déchets non dangereux conformément à la réglementation en vigueur et à la triple condition : a) qu’elles ne soient pas incompatibles avec l’exercice d’une exploitation agricole ou pastorale ; b) qu’elles ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages ; c) et sous réserve de justifier qu’aucun autre emplacement ou aucune autre solution technique n’est envisageable à un coût économique environnemental acceptable » ;
“En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que le terrain d’assiette du projet se situe, au vu de l’avis précité de l’INAO du 22 janvier 2016, au sein d’un espace doté d’un fort potentiel agronomique caractérisé par sa faible pente et son caractère cultivable ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier et n’est pas justifié en défense que la construction projetée, qui consiste en la réalisation d’un bâtiment administratif et social au sein d’un centre de stockage de déchets non dangereux, ne porterait pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages environnants ni davantage qu’aucun autre emplacement ou aucune autre solution technique n’était envisageable à un coût économique environnemental acceptable ; que par suite c’est à bon droit que les requérants soutiennent que la situation des parcelles en litige au sein des espaces stratégiques agricoles du PADDUC fait obstacle à l’obtention du permis de construire litigieux».
Sans oublier que l’éventuelle demande d’un permis de construire devra aussi être soumise à la CTPENAF (Commission territoriale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers) dont l’avis est un avis conforme.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets,les conditions pour que la société Oriente Environnement soit autorisée à construire, sur le méandre du fleuve Tavignanu, classé en ESA, les bâtiments nécessaires aux deux centres d’enfouissement pour déchets amiantifères et ordures ménagères ne sont toujours pas remplies. Aucun permis de construire ne pourra donc être délivré sur le site, ce qui est évidemment de nature à remettre en cause l’ouverture des centres d’enfouissement.
En jaune, les ESA du méandre du Tavignanu :
*Le jugement du TA du 5 avril 2018 :