La contribution de U Levante à l’avis* du CESEC (Conseil économique social environnemental et culturel de Corse) relatif à la feuille de route de l’Agence du tourisme de la Corse 2018-2021 ayant été réduite au paragraphe suivant :
U Levante publie l’intégralité de sa contribution :
CESEC – Contribution de U Levante, association de protection de la nature et de défense de l’environnement, à la feuille de route de l’ATC présentée en commission le 19/04/2018
PLAN TOURISME ET FEUILLE DE ROUTE
Nous saluons le travail effectué par l’Agence du tourisme afin de produire une feuille de route « pour une transition écologique et numérique du tourisme corse, créateur de valeur et respectueux des équilibres du territoire ». Il existe désormais une trame et des axes pour la création d’un futur plan tourisme concerté.
Ce plan devrait être réalisé en concertation avec les professionnels du tourisme mais également avec les associations environnementales qui traitent de nombreux dossiers d’atteintes au code de l’urbanisme et de l’environnement commises par ces professionnels ou des entrepreneurs occasionnels. Il s’agit en effet, comme vous l’avez exprimé avec conviction dans votre présentation, Madame la Présidente, de défendre un tourisme durable, c’est-à-dire équitable, solidaire, respectueux de l’humain et de son environnement.
ÉCONOMIE VERTE
Ce tourisme régulé, raisonné er raisonnable, peut produire une économie verte qui préservera ce qui fait l’attrait touristique de notre île : son patrimoine naturel culturel et historique, et le valorisera. Ainsi échappera-t-on au sort des régions qui ont fait du tourisme de masse en tout béton et ont perdu, en même temps, leur identité et la clientèle touristique qu’ils avaient attirée.
DE L’URGENCE À AGIR POUR FAIRE RESPECTER LES LOIS ET RÉUSSIR LE NOUVEAU PLAN
Ce plan, que vous allez nous proposer à l’issue de cette feuille de route, est un plan de transition chargé de créer une dynamique vertueuse. Pour autant, il ne pourra aboutir que si, au préalable, vous enrayez la vague d’accaparement spéculatif de la terre corse au service d’un tourisme de profit, nocif à l’environnement et à la qualité de vie de la population.
C’est pourquoi, nous, associations de protection de la nature et de défense l’environnement, affirmons qu’il y a urgence à agir pour faire respecter le code de l’urbanisme et de l’environnement, afin de freiner les appétits spéculatifs de certains investisseurs insulaires ou non insulaires qui se moquent des lois et les enfreignent pour créer des structures touristiques telles que des domaines de luxe ou des établissements de mer ou autres ensembles immobiliers illégaux.
- Agir, l’Exécutif de la CDC doit le faire : c’est une absolue nécessité pour faire respecter les lois de préservation environnementale, en faisait fi des doléances de certains professionnels qui demandent des aménagements au prétexte d’une spécificité corse. Ainsi, par exemple, le besoin qu’ils expriment et que vous indiquez en tant que tel sur la feuille de route « adapter la règle sur les restaurants de plage ». Forts de notre expérience en la matière, nous affirmons que c’est une tentative de légaliser les multiples infractions constatées par la DDTM et de privatiser un peu plus le DPM au détriment de la population locale qui se voit, de plus en plus, privée d’accès libre au littoral et à la mer. Ainsi la prolongation d’AOT au-delà du temps prévu par la loi peut être comprise comme un droit à occuper de manière permanente le DPM et donc à le privatiser.
- Agir, l’Exécutif de la CDC doit le faire, car sans volonté ferme de sa part, l’État n’est pas encouragé à jouer son rôle régalien en ce qui concerne notamment son contrôle de légalité. Ainsi, comment contrôler plus de 5 000 permis de construire délivrés en une année en Corse en raison de l’intervalle juridique laissé par la vacance de documents d’urbanisme : fin des POS, leur remplacement laborieux par des PLU ou l’application du RNU dans de nombreuses communes. Or bon nombre de ces permis sont illégaux et concernent essentiellement, soit des complexes immobiliers, soit des maisons individuelles situés en zone littorale ou sur des sites protégés ; cette inflation est la résultante d’un tourisme de spéculation et de rente qui fait de la terre corse une marchandise et un placement financier. Elle a pour conséquence une flambée du prix des terrains qui prive les jeunes Corses de l’accès à la propriété.
- Agir, l’Exécutif de la CDC doit le faire parce que la population ne peut plus supporter les nuisances causées par ce tourisme débridé : surpopulation portant atteinte à la biodiversité et incompatible avec le nombre de résidents permanents, nuisances sonores, difficultés de se déplacer dans l’île, pollution de l’air par les transports maritimes aériens et routiers, pollution marine, problèmes sanitaires par manque ou désuétude de stations d’épuration, gestion des déchets, augmentation des taxes sur l’énergie et sur l’eau, érosion littorale facilitée par l’aménagement irraisonné de la côte ou son piétinement et son tassement par de gros engins de chantier, inondations favorisées par le comblement incessant des zones humides et graves problèmes d’approvisionnement en eau qu’on ne peut imputer seulement au changement climatique.
UNE URBANISATION DÉBRIDÉE
Le touriste de rente, celui de la multiplication des résidences secondaires à caractère locatif saisonnier, est en plein essor. Or, lors de l’établissement des documents d’urbanisme, on s’aperçoit que, dans beaucoup de villages ou zones urbaines, le bâti résidentiel est supérieur au bâti résiduel, et que, pourtant, les maires continuent à vouloir l’étendre en délivrant des permis sur des zones préservées comme les espaces agricoles. Trop de PLU et de CC veulent ignorer l’obligation de respecter la notion de capacité d’accueil qui régule la démographie et équilibre la constructibilité. Pourtant la CDC et les services de l’État ne s’opposent pas toujours à ces documents.
Le PADDUC qui n’est qu’un document d’orientation et d’aide pour un projet de commune en cartographiant, suivant des critères scientifiquement prouvés, des espaces respectant les équilibres nécessaires à l’avenir d’un village durable, n’est pas respecté.
La Collectivité de Corse doit se donner les moyens de combattre légalement toute infraction qui conduit à une constructibilité effrénée illégale, liée à une spéculation fondée sur l’industrie touristique.
RÉGULATION DES FLUX TOURISTIQUES
La nécessaire régulation des flux touristiques, notamment en pointe de fréquentation invasive, passe par un contrôle de fréquentation payant sur les sites que vous appelez fragiles et que nous qualifions, nous, de protégés, et par un paiement d’accès qui permet de les entretenir. Ces mesures, sans doute efficaces et souhaitables, sont cependant mal perçues par les résidents permanents qui vont être obligés de payer pour accéder à un rivage ou à un site qu’ils ont l’habitude de fréquenter. Sans doute faudrait-il trouver une solution pour une contribution minorée en leur faveur.
La surfréquentation devrait être régulée par la mise en place de compteurs : l’interdiction d’entrée sur un site s’effectue quand le quota est atteint.
La régulation du flux maritime et la préservation des espèces ou des plantes sous-marines, comme les grandes nacres et les posidonies, passent par la mise en place de mouillages démontables que vous voulez taxer avec raison. Pour autant, ce nombre de mouillages ne doit pas être prévu pour attirer un nombre plus important de bateaux mais pour adapter le flux à la capacité d’accueil qui permet de préserver l’environnement.
Compte tenu du fait que la Corse n’est plus en capacité, sans subir de graves dégâts, aussi bien environnementaux que structuraux, d’accueillir un nombre plus important de touristes en pic de saison estivale, il est indispensable que l’on fasse désormais une promotion ciblée sur sa destination : Corse île verte. Si l’agence du tourisme fait déjà passer ce message, ce n’est pas le cas des différentes agences privées, régionales, nationales ou internationales ou des syndicats d’initiatives locaux.
DU TOURISTE AU VISITEUR
Cette politique touristique doit aussi s’accompagner d’une sensibilisation des visiteurs. Le regard du touriste doit également changer. L’acte d’achat d’un séjour touristique ne doit plus être une consommation aveugle. « J’ai payé donc je peux » ou « Le tourisme vous fait vivre ». Nous devons informer le public des conséquences de son passage sur l’île. Les billets de transport maritime, aérien et ferroviaire, les contrats d’actes de location sont des supports de choix pour relayer l’information.
UN TOURISME AUTREMENT ET PAS SEULEMENT
Vous constatez que le tourisme est actuellement le levier principal économique et social de l’île. Pour autant on ne peut en faire le seul secteur de croissance. Des états et des régions qui ont fait ce choix ont compris trop tard leur erreur fatale.
« La Corse l’île verte » est un concept que nous partageons. Le « mieux tourisme » que vous préconisez est nécessaire. Mais il faut qu’il bénéficie, économiquement et socialement, à tous les Corses et non pas seulement à certains, et contribue aussi à la préservation et l’entretien de sites naturels, déjà bien endommagés.
Les enquêtes que vous citez montrent que la Corse est une destination nature. Il faut qu’elle continue de l’être, non pas seulement dans l’esprit des visiteurs mais dans la volonté politique des décideurs de l’île. C’est pourquoi il faut absolument que l’activité touristique en Corse prenne une autre direction que celle qui est la sienne actuellement, qui est un tourisme subi et destructeur.
Nous sommes donc favorables à l’orientation de cette feuille de route sous réserve que l’État et l’Exécutif de la région Corse, en toute urgence, œuvrent ensemble et au besoin en soutien des associations et collectifs, pour la stricte application des lois qui préservent notre terre de toute forme de spéculation. Il en va de la réussite du plan ambitieux que vous allez nous proposer.
U turisimu hè da fà mà altrimente.
*Avis du CESEC :