La réserve de Scandola est le site naturel remarquable corse le plus connu au monde au point d’être inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. C’est sans doute pour cela qu’il est très fréquenté par les touristes, notamment sur son espace marin. Il est donc victime de son succès parce que ceux qui étaient en charge de sa gestion n’ont pas su maîtriser à temps le flux des visiteurs, qui, fascinés par son exceptionnelle beauté, en oublient que, sur terre et sur mer, ce littoral abrite une riche biodiversité protégée.
Pourtant, le Conseil Européen en délivrant un diplôme, et l’UNESCO un label, ont, voici plus de dix ans, préconisé une série de mesures préventives afin d’installer un équilibre entre la préservation du site et son exploitation commerciale. Elles n’ont pas été appliquées, ce qui a entraîné une fréquentation intensive et dérégulée de bateaux de plaisance et d’excursions touristiques qui portent de graves atteintes à la biodiversité de cet espace Natura 2000.
Conséquence, le Conseil Européen a retiré un diplôme qui n’avait plus sa raison d’être et l’UNESCO va sans doute lui emboîter le pas si des mesures de régulation ne sont pas mises en place.
Une de ces mesures est l’extension de la surface de la réserve nationale dont la gestion a été déléguée par l’État en 2002 à la Collectivité de Corse via son office de l’environnement et sa direction du parc naturel PNRC. Elle est rappelée dans la convention cadre avec l’État de janvier 2019, qui charge la CDC de mettre en œuvre les modalités de gestion du site UNESCO Golfu di Portu, Calancha di a Piana, Golfu di Ghjirulata, Riserva di Scandula .
La CDC veut l’appliquer en créant, sous forme d’extension, une réserve régionale. Se juxtaposeraient ainsi la réserve nationale actuelle et la nouvelle réserve régionale, toutes deux gérées par la même gouvernance mais sans doute avec deux conseils de gestion, deux conseils scientifiques, deux règlements différents, deux budgets différents (le financement de la réserve régionale étant supporté par la région). Cela dans quel but ?
Le but présenté dans le rapport soumis à l’avis du conseil économique et social le 28 Juillet 2020 est : afin « de renforcer la protection de la biodiversité sur la côte nord occidentale, la CDC envisage la création d’une réserve naturelle de Corse (RNC), espace protégé marin, sur une réglementation du type périmètre général zone de protection renforcée, zone de protection intégrale contiguë à la réserve nationale de Scandola ».
Le Conseil économique et social « conscient de la nécessité impérieuse de protéger la biodiversité, accueille favorablement toute mesure destinée à permettre un renforcement de cette protection ». Il a cependant demandé des précisions (absentes de la présentation) sur le contenu de ce projet, à savoir son périmètre, son règlement, notamment en matière de préservation, les possibles différences de réglementation entre les deux réserves, les dispositifs de contrôle et moyens en personnel et matériels prévus, tout en rappelant les préconisations européennes qui demandent une extension nationale faute de perdre le diplôme européen et donc l’accord nécessaire des instances européennes et internationales pour la réalisation de ce projet. D’évidence ce projet n’en était qu’au stade de l’intention. Sans doute est-ce pour cela que l’Assemblée de Corse a reporté un vote d’approbation qui devait avoir lieu lors de sa session de juillet 2020.
Par une motion du 12 juillet 2020, le CNPN (Conseil national de protection de la nature) lance un message d’alerte sur la situation de la réserve et rappelle que son extension à caractère national est nécessaire pour qu’elle joue pleinement son rôle. C’est en effet une des mesures qui peut contribuer à résoudre les problèmes de fréquentation invasive dont elle souffre. Elle permet une continuité et un suivi du très important travail scientifique effectué par l’équipe de la réserve et son conseil scientifique qui l’installe comme un laboratoire de biodiversité mondialement connu. Créer une structure nouvelle et contiguë avec une nouvelle équipe serait se priver de cette expérience et de cette expertise, reconnues, et la remettre en cause : un pari structurel et scientifique risqué.
L’OEC et le PNRC ont entamé un travail de concertation difficile avec tous les acteurs de la réserve afin de trouver un mode de fonctionnement qui permette une gestion durable. Autant finaliser cette démarche plutôt que d’essayer d’en impulser une nouvelle dans un nouveau cadre en pensant ainsi résoudre des problèmes que rencontrent tous les sites remarquables dans le monde et qui se résolvent par des mesures de réglementation drastiques dont il faut s’inspirer.
Si la création de réserves régionales corses sur terre et sur mer est une bonne démarche par l’assurance d’une gestion qui allie la sauvegarde du milieu naturel à son développement économique, on peut se demander si c’est une bonne solution pour prolonger la surface d’une réserve nationale existante.
Si on peut concevoir que la région Corse veuille assurer son entière responsabilité de gestion sur son territoire, on ne peut que lui rappeler que la gestion d’espaces protégés relève d’une législation nationale voire européenne qu’il convient de respecter. Or la réserve naturelle nationale de Scandola est devenue un patrimoine universel. C’est une reconnaissance internationale d’un site à préserver pour la qualité de sa biodiversité. Il convient donc que toute décision la concernant se fasse en concertation avec les partenaires institutionnels que sont l’État, l’Europe et l’UNESCO.
En l’occurrence, il faudrait avoir l’assurance que les vœux affichés des élus communaux du secteur et ceux des présidents de l’OEC et du PRNC de créer cette réserve régionale comme extension prévue de la réserve nationale soient partagés par ces partenaires et qu’ils donnent lieu à une construction mutuelle du projet. Ce n’est qu’à l’issue de cette démarche démocratique qu’il pourrait être présenté à la population de l’île et voté par l’Assemblée de Corse.
Mais attention il nous paraît opportun de rappeler ici l’existence d’écrits officiels des instances internationales (Conseil de l’Europe et UNESCO), comme celle du CNPN évoqué plus haut dans ce texte.
Les 2 conditions et 7 recommandations du Conseil de l‘Europe pour le renouvellement du Diplôme Européen en 2010 s’adressaient bien au site labélisé « la réserve naturelle nationale de Scandola ». Pour la reconquête du Diplôme Européen et le maintien du label UNESCO ces mêmes conditions et recommandations de 2010 seront attendues pour les échéances à venir pour la même réserve naturelle nationale de Scandola (voir documents du CNPN, Conseil de l’Europe et de l’UNESCO joints).
Notre région bénéficie d’un statut qui lui permet d’avoir par délégation des prérogatives de gestion du territoire. Est-il bien raisonnable, pour préserver la richesse de notre patrimoine naturel qui est notre principale ressource économique, de multiplier les structures de préservation au lieu de les unifier pour rendre leur gestion plus efficace et compréhensible par nous tous ?
Il nous paraît donc logique que la réserve nationale de Scandola déjà gérée par la Collectivité de Corse soit étendue au sein d’une même entité et non par juxtaposition de deux structures différentes afin de ne pas jeter la confusion et compliquer une gestion déjà difficile d’un littoral victime d’un attrait touristique dévastateur. Que cette grande réserve soit régionale ou nationale importe peu, dès le moment où la décision de sa création est prise en concertation et accord avec tous les partenaires institutionnels locaux nationaux et internationaux et respecte les lois et règlements en vigueur qui régissent les sites protégés. Et que ces règlements soient appliqués.