« Le problème est politique et non technique. Élaborer un document d’urbanisme ne consiste pas à faire plaisir aux uns et aux autres… des choix doivent être faits et traduits en termes réglementaires, quitte à déplaire à certains. … » G. Mulsant, président du Tribunal administratif de Bastia • 5/12/2014.
Quelques maires de Corse se plaignent d’un millefeuille de lois qui rendrait impossible – selon eux- la réalisation de leur plan d’urbanisme. Quelle est la réalité ? Bien sûr, plusieurs lois se superposent, mais elles ont toutes le même objectif et répondent toutes à un même principe… N’est-ce pas plutôt ce principe qui dérange nos maires frondeurs ?
Réduire de moitié le rythme de consommation des espaces naturels, des terres agricoles, est pourtant un objectif de simple bon sens auquel chacun devrait adhérer. La consommation d’espaces est en conséquence l’une des clés des documents d’urbanisme qui doivent déterminer les conditions permettant d’assurer un équilibre entre renouvellement urbain et utilisation économe des espaces naturels, dont les terres agricoles. Autrement dit, un Plan local d’urbanisme ou une Carte communale ne peut, ne doit, rendre constructibles des terres que si est établi le besoin en logements, démontré par une augmentation de la population résidente au cours des années précédentes.
Les communes doivent donc mener un travail d’analyse des réserves de logement dans le bâti existant avant d’envisager une extension des surfaces urbanisées : c’est le calcul des surfaces résiduelles en sachant que le ratio retenu par la DDTM 2B est 30 logements à l’hectare (des logements et non des maisons individuelles).
Sur le littoral, le prix de la terre étant multiplié par 100 ou 200 lorsqu’elle acquiert le statut de constructible, de nombreux maires avaient entre les mains un document d’urbanisme ancien qui, souvent réalisé entre autres pour satisfaire un électorat potentiel et non le développement raisonné de la commune, rendait constructibles d’immenses étendues : en Corse les documents qui avaient été mis en place (les POS essentiellement, sur-consommateurs d’espaces) permettaient de doubler la population de l’Île si tous les zonages urbains (U) ou à urbaniser (AU) des seules communes littorales étaient construits ! La plupart des parcelles rendues ainsi constructibles par ces POS illégaux sont partiellement à l’origine du taux des résidences secondaires délirants constatés du nord au sud sur le littoral : Belvidè Campumoru 73 %, Canari 64 %, Carghjese 73 %, Casaglione 76,5 %, Palasca 84,2 %, Piana 62,6 %, Sarra di Farru 75 %, etc.
Et aucun des PLU nouveaux, arrêtés et examinés par l’État, l’Agence de l’urbanisme, la Mission régionale à l’autorité environnementale, la CTPENAF n’a renversé la vapeur : s’ils ont tous reçu des avis négatifs de tous les services, c’est qu’ils ont tous, entre autres motifs, laissé ou rendu des parcelles constructibles sur des surfaces disproportionnées par rapport aux besoins de la population permanente. Ce qui peut s’écrire autrement : les surfaces ouvertes à l’urbanisation sont donc en réalité destinées à de nouvelles résidences secondaires.
Trois exemples en images, les exemples de Siscu et de Piana étant déjà publiés : http://www.ulevante.fr/siscu-plu-nouveaux-avis-defavorables-etat-et-executif-de-corse/ et http://www.ulevante.fr/piana-plu-recale-a-lunanimite/
Le PLU arrêté de Carghjese
- Un taux des résidences secondaires de 73 %.
- Une évolution de la population calculée à 2 030 : + 300 habitants et donc un besoin de constructibilité de 5 hectares.
- Mais un foncier ouvert à l’urbanisation égal à 53 hectares !
Le foncier disponible ouvert à l’urbanisation permettrait d’accueillir 3 000 habitants …
Carghjese : des hectares et des hectares constructibles !
La MRAe a souligné cette démesure : « Au regard des secteurs précités, il conviendrait plus rationnellement de revoir l’extension qui y est prévue, car elle ne peut être justifiée au regard de la loi Littoral. » … « Sur le PLU arrêté, et comme exprimé plus haut (cf. §2.2), le projet ne respecte pas le principe de gestion économe de l’espace. A titre d’exemple, l’extension projetée de part et d’autre de l’Esigna (zones AUC, UC et UD), sans justifications conjoncturelles ou démographiques et en faisant abstraction de l’absence de conformité avec la loi Littoral, apparaît totalement démesurée au regard de l’occupation des sols actuelle. »
Le PLU arrêté de Canari
- 310 habitants permanents et la population permanente diminue.
- 63 % de résidences secondaires en 2012, et le taux ne cesse de croître.
Toutes les taches oranges ou vertes sur la carte du PLU arrêté correspondent à du « foncier disponible ».
En ne réduisant pas suffisamment ce foncier disponible, pratiquement entièrement situé dans les « espaces proches du rivage », Canari offre une possibilité démesurée à l’installation de nouvelles résidences secondaires, augmentant encore le déséquilibre déjà très marqué.
Le PLU arrêté de Casaglione/Tiuccia
- 368 habitants permanents dont 268 à Tiuccia selon le rapport de présentation.
- 76,5% de résidences secondaires.
- 130 habitants supplémentaires calculés pour 2026 donc 65 logements supplémentaires à prévoir mais un objectif affiché de construction de 260 logements : une centaine de résidences principales et 160 résidences secondaires.
- Un foncier disponible communal de 33,85 ha qui pourrait en réalité accueillir de 288 à 382 logements soit de 4 à 6 fois plus que les 65 logements nécessaires pour couvrir l’augmentation de la population permanente calculée.
- 254 à 314 logements prévus à Tiuccia même (soit entre 500 et 600 occupants nouveaux) ce qui est totalement incompatible avec une « urbanisation limitée » qui doit être la règle dans les espaces proches du rivage (EPR).
Au final un taux de résidences secondaires extrêmement déséquilibré qui se maintiendrait à 76 %.
Conclusion
Dans la mesure où il est démontré, PLU après PLU, que l’ouverture à l’urbanisation ne vise, trop souvent, qu’à gaver la terre de résidences secondaires et non à répondre à un développement démographique, les protestations de quelques maires ne sont qu’un écran de fumée pour dissimuler leur rejet du Padduc à peine voté. Les responsables communaux doivent donc aujourd’hui, s’ils ne veulent pas rester en RNU, tirer un trait sur les anciens plans d’urbanisme… ce qui est évidemment un exercice électoralement périlleux puisqu’ils sont obligés de retirer à certains propriétaires de la constructibilité qui était considérée –à tort- comme acquise et de mettre un frein à la dérive spéculatrice. Ils doivent pour cela s’appuyer sur les lois et sur le Padduc, qui n’est pas plus contraignant que les lois elles-mêmes mais qui est une aide à leur traduction sur le terrain puisqu’il a délimité les espaces naturels et agricoles à respecter impérativement pour atteindre l’objectif des 105 000 ha de terres productives.
Si toutes doivent entendre un langage de vérité, les « petites » communes ont sans doute besoin d’être conseillées et aidées (État ? Agence ?) Et il est nécessaire que les édiles municipaux modifient leur conception du « développement » afin que leurs futurs documents d’urbanisme soient légaux, légitimes et éthiques. Il n’y a pas d’autres solutions et il est toujours étonnant, pour un citoyen, d’entendre des maires, dont une des missions premières est de veiller à l’application de la Loi, dénigrer les lois de l’urbanisme et déclarer s’opposer à leur application sous de fallacieux prétextes.
Enfin, il est également nécessaire que les Préfets, qui ont depuis le 27 mars la main sur la délivrance des permis de construire dans une majorité de communes, appliquent eux aussi les lois en vigueur.
Les PLU ne peuvent pas être la simple addition de demandes liées à des intérêts individuels, retranscrites dans des zones AU. L’enjeu va au-delà de la simple protection de l’environnement : ils doivent traduire un choix de société. Car tous les voyants sont au rouge, de la fuite en avant spéculative, des périphériques lotissements dortoirs, des pharaoniques centres commerciaux remplaçant une agriculture de proximité, des stations balnéaires sans âme, du consumérisme à son apogée jusqu’à la profanation de sanctuaires tels que A Rundinara…
Voir également :
http://www.ulevante.fr/fina-quandu-ie-fina-quandu-jusqua-quand/