La fuite inopinée de la première partie du 5e rapport d’évaluation du Giec nous apprend deux choses. Les climato-sceptiques restent des maîtres de la mauvaise foi. La situation climatique n’est pas prête de s’arranger.
Article paru dans le journal de l’environnement le 18 décembre 2012 par Valéry Laramée de Tannenberg
C’est le prix de la transparence. Jeudi 13 décembre, dans la soirée, un climato-sceptique américain a mis en ligne le dernier «brouillon» d’une partie du 5e rapport d’évaluation (CRE) du Groupe international d’experts sur l’évolution du climat.
Rédigé par le premier groupe de travail du Giec (qui consacre ses travaux à la compréhension des causes, humaines et naturelles, des changements climatiques), ce rapport pèse son poids: 14 chapitres et annexes, deux résumés techniques, le tout tenant en un peu plus de 2.000 pages.
Même si elle conforte mains rapports publiés ces dernières semaines, cette publication n’était pas souhaitée par l’institution onusienne. Tout simplement parce que le travail est loin d’être achevé. La version finale du texte doit être bouclée au printemps prochain avant d’être officiellement approuvée lors de la session plénière du groupe 1, qui se tiendra à Stockholm du 23 au 26 septembre prochain.
Comment se fait-il que pareil texte se soit trouvé entre les mains d’un négationniste du climat? Simple, les règles du Giec permettent (pratiquement) à tout un chacun d’être un relecteur patenté de ces rapports, avant leur publication. Ce faisant, ils s’engagent à signer un accord de confidentialité.
Pour le 5e rapport d’évaluation, 800 relecteurs ont ainsi été acceptés par le Giec, dont le tristement fameux Alec Rawls. Au nom de la préservation des droits du contribuable, celui-ci a donc publié l’intégralité du «brouillon» de la première partie du rapport (qui en comptera trois) sur son site internet.
Egal à lui-même, il a immédiatement tenté d’en discréditer le sérieux en sortant de son contexte une seule phrase (sur 2.000 pages!) –laquelle pouvait laisser croire que les 800 auteurs dudit rapport accréditent l’hypothèse selon laquelle les rayons cosmiques auraient une plus grande influence sur le climat que les gaz à effet de serre anthropiques. Ce qui n’est évidemment pas le cas. Bien au contraire: «Les effets des rayons cosmiques sont bien trop faibles pour avoir la moindre influence significative sur le climat pendant un cycle solaire ou durant tout le siècle dernier», affirment d’ailleurs les climatologues, dans leur résumé pour les décideurs.
Cette fuite est-elle une première? Pas vraiment. En 2000, le New York Times avait publié les conclusions du 3e rapport d’évaluation. En 2005, Enerpresse, le quotidien français de l’énergie, avait dévoilé en primeur les grandes lignes du rapport spécial sur le captage et stockage géologique du CO2. Opération renouvelée, il y a quelques mois par le Journal de l’Environnement [JDLE] à propos d’un autre rapport spécial, cette fois consacré aux énergies renouvelables.
Bien qu’il ne soit pas encore passé au crible de toutes les relectures, que peut-on retenir des grandes lignes de la partie 1 du CRE? Rien de bien nouveau, malheureusement, si ce n’est le renforcement des mauvaises nouvelles déjà colportées par les rapports précédents. Un volume toujours plus important de données (y compris issues de la paléoclimatologie) permet aux climatologues d’affirmer que le réchauffement climatique ne cesse de s’accélérer. «Les données montrent que la température globale au dessus des terres et des océans a progressé, en moyenne, de 0,8°C durant la période 1901-2010, dont 0,5°C sur la période 1979-2010.»
Les 30 dernières années ont été les plus chaudes qu’ait connues l’hémisphère Nord depuis 1.300 ans. Tordant le cou aux adorateurs de l’influence du soleil sur le réchauffement climatique, les auteurs sont «quasiment certains» que, depuis les années 1950, la troposphère s’est réchauffée alors que refroidissait la basse stratosphère. Difficile pour les rayons traversant les couches de l’atmosphère de haut en bas et de bas en haut de n’en réchauffer qu’une partie.
La culpabilité des gaz à effet de serre anthropiques ne fait plus l’ombre d’un doute. «Globalement, le CO2 est le plus puissant initiateur des changements climatiques […] Sa contribution relative n’a cessé de progresser depuis les années 1980 et dépasse de loin les contributions d’initiateurs naturels. La concentration de CO2 et son rythme d’augmentation sont sans précédent depuis, respectivement, 800.000 ans et 20.000 ans.»
Depuis 1750, les concentrations dans l’atmosphère de gaz carbonique, méthane et protoxyde d’azote, se sont accrus de 40%, 125% et 8%, rappellent les auteurs. La liste des conséquences de ces changements climatiques s’apparente à une litanie. Les vagues de chaleur se sont ainsi multipliées depuis les années 1950. Les statistiques montrent une tendance à l’accroissement du nombre d’épisodes de fortes précipitations dans certaines régions du monde.
En mer, les océans ne cessent de se réchauffer, aussi bien près de la surface (de 0,1°C par décennie) qu’à grandes profondeurs (0,01°C par décennie en deçà de 700 mètres). Il est «quasiment certain» que le rythme d’élévation du niveau des mers a progressé de 1,4 à 2 millimètres par an durant tout le XXe siècle, sans cesser de s’accélérer sur les dernières décennies. Depuis 1993, la mer s’élève ainsi de 2,7 à 3,7 mm/an. Principal puits de carbone de la planète, les océans voient leur acidité augmenter à mesure qu’ils absorbent notre CO2. Depuis les années 1980, le pH diminuerait ainsi de 0,015 à 0,024 par décennie.
Même si son rythme et son caractère de gravité restent très discutés, la cryosphère diminue régulièrement. Depuis 2003, les glaciers perdraient entre 210 et 371 milliards de tonnes (Gt) de glace par an. A lui seul, l’inlandsis du Groenland se serait allégé de 123 à 228 Gt par an, entre 2005 et 2010. Aux antipodes, la calotte polaire antarctique a perdu, chaque année, deux fois plus de glace entre 2005 et 2010 que durant toute la période 1993-2010.
Tout aussi inquiétant, la température moyenne du permafrost (lequel contient des milliards de tonnes de gaz carbonique et de méthane) se serait accrue de 3°C, en moyenne, au cours des 30 dernières années: la faute au réchauffement et à la diminution du couvert neigeux.
Les conséquences, à court et long terme, ne sont pas des plus réjouissantes. Bien que se basant sur de nouveaux scénarios (dits représentatifs d’évolution de concentration ou RCP), les projections du Giec restent inquiétantes. D’ici à 2035, la température pourrait s’accroître encore de 0,4°C à 1°C. Les vagues de chaleur vont se faire plus fréquentes et plus chaudes. Les régions les plus arrosées, ces dernières décennies, verront les précipitations s’accroître encore. La température de l’océan ne cessera de progresser, ce qui devrait entrainer un ralentissement de la circulation méridionale atlantique (Amoc) d’ici la moitié du siècle.
L’acidification ne sera pas en reste. «Il est probable que les eaux de surface de l’océan austral deviennent corrosives pour les formes de carbonates de calcium les moins stables vers 2100, et peut-être avant dans l’océan arctique.»
Un petit conseil pour finir et qui rejoint la transition énergétique, désormais bien connue des Français. La stabilisation du réchauffement à 2°C d’ici à 2100 implique de limiter à 12,6 Gt les émissions mondiales annuelles de carbone (soit 46,24 Gt CO2/an) en 2020 et à 6,3 Gt en 2050. Pour mémoire, les émissions comptabilisées en 2010 ont atteint les 13,1 Gt de carbone.