Inconscience ou esprit de lucre, laisser construire en zones inondables ou proches de zones à risques n’est pas un acte innocent

En accordant des autorisations de construire dans des zones inondables ou proches de zones à risques, nos élus sont-ils inconscients ? Faut-il des destructions, voire des morts, pour que ceux-ci, de même que les administra- tions qui les laissent agir ou ne les conseillent pas suffisamment, prennent conscience des risques auxquels ils exposent les habitants des cités qu’ils gèrent ?

Nos élus et les fonctionnaires qui les accompagnent sont-ils aveugles devant l’évolution des catastrophes naturelles qui touchent maintenant régulièrement le littoral méditerranéen ? La répétition des graves inondations en raison des fortes pluies qui gonflent les eaux de rivières et de leurs affluents devrait pourtant les alerter.

Faut-il rappeler les récentes crues de la vallée de la Vésubie qui, le 5 octobre 2020, laissaient estimer en premier bilan que 4 personnes étaient mortes et 21 disparues ?

Faut-il rappeler les 19 morts des 3, 4 et 5 octobre 2015 à la suite des pluies diluviennes qui avaient touché les communes d’Antibes, Mandelieu-la-Napoule, Biot, Cannes et Vallauris-Golfe-Juan ?

https://www.lemonde.fr/societe/article/2015/10/05/pluies-dans-les-alpes-maritimes-les-recherches-de-quatre-disparus-se-poursuivent_4782314_3224.html=

Faut-il rappeler les tempêtes et les inondations qui avaient provoqué 17 morts sur le littoral du sud-est de la France entre septembre et novembre 2014, 35 décès en Languedoc-Roussillon en novembre 1999, 24 dans les Cévennes en septembre 2002 ?

https://www.lemonde.fr/planete/article/2015/10/06/inondations-sur-le-littoral-mediterraneen-le-prix-a-payer_4783555_3244.html

Pourtant, si, sourds et aveugles, nos élus et fonctionnaires continuent à laisser les promoteurs bétonner et défier les risques naturels, ces mêmes élus, les promoteurs, voire les responsables administratifs qui les conseillent et leur accordent des autorisations, devraient savoir que les tribunaux judiciaires ou administratifs, saisis par les victimes, peuvent chercher leur responsabilité, les condamner à les indemniser, et dans les cas les plus graves soulever leur responsabilité pénale.

Nul ne peut par esprit de lucre, négligence ou indifférence se soustraire à sa responsabilité devant la société. Et tout agent public devrait méditer l’article 15 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration. »

La lecture du rapport public thématique de la Cour des comptes du 5 juillet 2012* sur les enseignements des inondations de 2010 sur le littoral atlantique (tempête Xynthia) et dans le Var devrait les faire réfléchir et nous alerter, nous citoyens, sur les effets de la conjugaison meurtrière de la frénésie bâtisseuse de certains élus mêlée « à la faiblesse » des services de l’État.

Ce rapport de la Cour des comptes est une terrible leçon sur le déroulement des décisions, des négligences ou des omissions qui, autorisant à construire dans des zones connues comme inondables, ont entraîné morts et destructions.

Le bilan humain a été lourd. La Vendée a connu 29 morts (concentrés sur La Faute-sur-Mer), 47 blessés légers, 767 personnes évacuées, 33 hospitalisées. A la suite des inondations qui ont frappé le Var le 15 juin 2010 à partir de 16 heures, 23 personnes ont perdu la vie, dont neuf à Draguignan, et deux ont été portées disparues.

Mettant en pièce jointe le rapport qui fait un bilan dans tous ses aspects des coûts des inondations, des systèmes de prévisions, des relations entre collectivités locales et administrations et entre administrations elles-mêmes, du rôle des maires et de l’action des promoteurs, les quelques extraits suivants sont significatifs :

Page 60 du rapport de la Cour « L’examen précis de quelques dossiers d’urbanisme montre la volonté de plusieurs communes, avant la catastrophe, d’appuyer les promoteurs et d’autoriser les constructions, en minorant, voire en ignorant les risques naturels. Il témoigne aussi de la faiblesse de l’État, notamment de certains de ses représentants, qui ont pris des libertés avec les lois qu’ils sont chargés d’appliquer, notamment la loi sur l’eau. »

Après ces événements, des mesures d’urgence ont été prises par les préfets, constate la Cour, mais elle ajoute «  (Elles) ont certes été utiles, mais leur impact s’étiolera progressivement si le relais n’est pas pris par des textes et des dispositions à portée pérenne. Seuls des documents adaptés d’urbanisme et de prévention des risques, ainsi qu’une détermination suffisante de l’État pour les faire appliquer, pourront vraiment changer la situation » (page 62).

Dans le domaine de l’information, la Cour notait que les atlas des zones inondables étaient méconnus, souvent ignorés par les élus lors de la délivrance des permis de construire, voire stigmatisés (page 66).

Ayant constaté (page 46) que le centre de secours de Draguinan avait été inondé lors des crues de 2010, le rapport nous permet de découvrir que l’État n’avait même pas respecté sa propre réglementation : « Une visite sur les lieux montre que le centre de secours principal a été construit à proximité immédiate de la rivière Nartuby, dans ce qu’il convient de considérer sans doute comme le lit majeur de celle-ci. Le permis de construire a été accordé par le maire de Draguignan le 12 novembre 1990, le dossier ayant été instruit par la Direction départementale de l’équipement (DDE). Celle-ci l’avait présenté comme un « projet conforme aux dispositions réglementaires applicables», sans évoquer de risque d’inondation. L’extension de cette caserne, dans les années 2004-2005, n’a pas appelé plus d’observations. » (page 73).

Et force est de constater après de nombreux exemples du déroulement des allers et retours entre administrations et élus  pour établir des PPRI (Plans de prévention des risques d’inondation), que « les maires se sont, de façon assez générale, opposés à l’adoption des plans ou ont retardé celle-ci autant que possible, voyant dans ces plans des obstacles à la volonté d’urbaniser leur commune ; l’État, à travers ses représentants, les préfets, n’a pas toujours su résister aux pressions des élus et a généralement accepté un allongement excessif des procédures . S’agissant du contenu des plans, les aléas ont fait l’objet de concertation, voire de négociations, pour ne pas trop contraindre les potentialités d’urbanisation du territoire communal, ceci au détriment de la sécurité des biens et des personnes. Les élus locaux ont entrepris de minorer autant que possible les contraintes et l’État a bien souvent été conduit à transiger.» (p 86).

Concernant le désastre qui a frappé la commune de la Faute-sur-Mer (Vendée), chacun devrait se souvenir qu’une information judiciaire a été ouverte par la suite. Le maire de la commune et la première adjointe à l’urbanisme ont été mis en examen des chefs d’homicide involontaire et mise en danger de la vie d’autrui, de même le président de l’association syndicale des marais propriétaire de la digue Est, les deux sociétés de construction et leur gérant. Le directeur départemental adjoint des territoires et de la mer était pour sa part mis en examen du seul chef d’homicide involontaire. Le tribunal correctionnel des Sables d’Olonne ayant estimé le 12 décembre 2014 que les anciens élus connaissaient parfaitement les risques d’inondation dans la station balnéaire mais les avaient “intentionnellement occultés” pour “ne pas entraver la manne” que représentait l’urbanisation, l’ancien maire de La Faute-sur-Mer et son ex-adjointe à l’urbanisme ont été condamnés à respectivement quatre et deux ans de prison ferme pour la mort de 29 personnes lors du passage de la tempête Xynthia en 2010.

https://www.lepoint.fr/justice/xynthia-rene-marratier-la-chute-du-roi-batisseur-11-12-2014-1888880_2386.php

La Cour d’appel de Poitiers (Vienne) a par la suite condamné, le 4 avril 2016, le maire de la commune de La Faute-sur-Mer (Vendée) à deux ans de prison avec sursis pour « homicides involontaires » et « mise en danger de la vie d’autrui ». Les juges lui ont également interdit de façon définitive d’exercer toute fonction publique. 

https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2016/04/04/xynthia-le-maire-de-la-faute-sur-mer-fixe-sur-son sort_4894989_1653578.html#:~:text=La%20cour%20d%27appel%20de,tempête%20Xynthia%2C%20qui%20avait%20fait

Certes si, en appel, seule la condamnation du maire a été confirmée, il ne faudrait pas en retirer l’idée qu’élus, administrateurs et fonctionnaires sont exempts de toute responsabilité et ne seront jamais condamnés. 

*Rapport de la Cour des Comptes :