Peut-on construire sans risque dans les zones dont le sous-sol regorge d’amiante? C’est la question posée par une association écologiste corse, alors que le BRGM a publié des données plus précises sur la présence de la fibre tueuse dans le nord de l’île.
Le 03 septembre 2013 par Marine Jobert – Journal de l’environnement
La question immobilière était déjà un sujet sensible en Corse; voilà qu’elle devient aussi une question sanitaire. Car le sous-sol de l’Ile de beauté recèle un trésor géologique dont elle se serait bien passée: l’amiante. Au dernier comptage, le territoire de 139 communes (sur 360) est susceptible de contenir des roches amiantifères qui, mises à nues, peuvent relâcher leurs fibres mortifères. Or 33 d’entre elles -19.000 hectares en tout- sont classées à des niveaux de risque de fort à très fort. Que va-t-il advenir, au plan urbanistique, industriel et sanitaire, de ces zones dont les affleurements naturels exposent les populations locales comme les professionnels? C’est le sens des interrogations portées par l’association écologiste corse U Levante, qui rappelle que la Haute-Corse est le département «où le risque lié à l’amiante environnemental est le plus élevé».
Cancers de l’amiante
La présence de cet amiante «naturel» n’est pas une nouveauté. Une mine d’amiante, à Canari, a fonctionné jusqu’en 1965. Et le vent, la déforestation, les éboulis, le feu ou la pluie altèrent facilement la roche, qui libère ensuite les fibres tueuses. En 1993, 14 cas de mésothéliome sont décrits chez des patients ayant passé leur enfance en Corse du Nord-est, rappelle l’Anses dans un rapport d’étude consacré, en 2010, aux affleurements naturels d’amiante. Trois campagnes de mesure des concentrations atmosphériques des fibres d’amiante sont réalisées en 2001, 2002 et 2003 par la DDASS de Haute Corse, couplées à une évaluation des risques de décès par cancer du poumon et par cancer de la plèvre. Des excès de risque sont alors relevés.
«Globalement, l’incidence du cancer de la plèvre en Corse est comparable à celle de la France continentale» , indique l’agence régionale de santé. Des chiffres «rassurants», mais qu’il s’agit de fortement nuancer, précise-t-elle, par manque de données fiables sur les premières expositions et parce que «l’urbanisation et les travaux publics en zone amiantifère se sont développés depuis la période à l’origine des cas de mésothéliome actuellement recensés». En outre, une comparaison des données de mortalité entre Corse entière et France métropolitaine serait «peu significative», puisque seul le sous-sol de la Haute Corse recèle de l’amiante. «Restreindre à la population exposée n’améliorerait cependant pas la significativité des chiffres, car le nombre de cas et de population serait d’autant plus faible», met en garde l’ARS. D’autres campagnes de mesure de l’air ont eu lieu en 2009, conjuguées à des cartographie menées par le BRGM dans trois départements (Haute-Corse, Loire-Atlantique, Savoie)1. Ce dernier travail aboutira à la publication de cartes départementales et cantonales de l’aléa «amiante environnemental» pour plusieurs régions françaises . Enfin, le deuxième plan national Santé-environnement (PNSE 2) prévoit de «gérer les expositions à l’amiante environnemental» pour la Corse.
Consignes peu suivies
Pendant ce temps-là, des consignes ont été prodiguées aux professionnels du bâtiment et du terrassement. «Depuis 1997, l’inspection du travail de Haute-Corse s’emploie à faire respecter par les chefs d’entreprise du bâtiment et des travaux publics les obligations de protection de leurs employés vis-à-vis de l’amiante environnemental (…) L’ensemble de ces recommandations est inégalement appliqué. Les opérateurs publics respectent assez bien les consignes de protection. Elles sont plus faiblement suivies sur les chantiers de construction d’immeubles, avec de surcroît la création d’un risque subsistant après la fin du chantier à travers les affleurements mis à nu et les déblais le plus souvent transportés à distance du lieu d’extraction», rapporte le ministère de l’écologie dans une note consacrée au risque de l’amiante environnemental . Car comme le note l’agence régionale de santé, «des terres et cailloux amiantifères sont parfois transportés à grande distance de leur lieu d’extraction, et ils sont quelquefois déposés en zone urbaine ou dans des lieux accessibles au public».
Permis de construire limités
Ce sont ces questions que soulève U Levante. «Est-ce que des chantiers prévus sur des terrains [à risque fort à très fort] sont indispensables?» Au vu de l’expertise scientifique disponible, comment délivrer les permis de construire sur ces terrains? «L’Etat et/ou le plan d’aménagement et de développement durable de la Corse ne doivent-ils pas limiter les autorisations de chantiers sur ces terrains?», interroge-t-elle. En cas de travaux, l’association en appelle au respect de la règlementation par les maîtres d’ouvrage et les maîtres d’œuvre. Enfin, «où déposer ces déchets de roches amiantifères sachant que la Corse ne possède aucun centre habilité à les recevoir?» Beaucoup de questions, auxquelles U Levante aimerait voir appliquer «avec vigueur» le principe de précaution.
1 En 2011, un second volet cartographique a été engagé qui concerne d’une part, les départements de la Haute-Savoie et de l’Isère et, d’autre part, les départements couvrant l’ensemble du Massif armoricain (Finistère, Côtes d’Armor, Morbihan, Ille-et-Vilaine, Manche, ainsi qu’une partie des départements du Calvados, de l’Orne, de la Mayenne, du Maine-et-Loire et de la Vendée).