Le vendredi 11 juin 2021, un exercice de la Base aérienne de Solenzara a permis de découvrir une pollution aux hydrocarbures, confirmée par un Falcon 50 de la Marine nationale. Deux nappes d’une longueur de 35 kilomètres à moins de 10 km de la côte est de la Corse entre Aleria et Solenzara. Dans cette même journée, l’État s’est mobilisé et le préfet de Haute-Corse a activé le plan Polmar. Dès le dimanche 13 juin, des résidus d’hydrocarbures étaient découverts à Solaro, entre Aleria et Solenzara. Puis les nappes d’hydrocarbures dérivaient vers le sud de la Corse pour atteindre le golfe de Porto-Vecchio et entraînaient la fermeture de l’ensemble des plages. Dans la réserve naturelle des Bouches de Bonifacio, des agents de l’Office de l’environnement de la Corse découvraient des oiseaux immobilisés dans le goudron qui touchait les côtes. Le repérage de bateaux suspects a pu être effectué.
L’association U Levante, comme elle l’avait fait en 2018, a déposé une plainte contre X dès le 18 juin 2021 en partenariat avec France Nature Environnement.
Car et c’est bien là le cœur de toutes les actions d’U Levante, il ne s’agit pas de déplorer et de se résigner, mais de prendre conscience que toute atteinte à l’environnement met en péril l’ensemble de notre écosystème, et aussi d’agir. L’équilibre de notre « maison commune », la seule que nous ayons, est détruit par toute activité et action qui négligent la complexité de cet équilibre.
Cette pollution sauvage, même occasionnelle, doit nous faire réfléchir sur ce qu’elle signifie pour notre Méditerranée, source millénaire de civilisations et d’échanges économiques, ainsi que pour la Corse la plus belle île de Méditerranée.
Si la réactivité des communes, du président du Conseil Exécutif de Corse (qui, dès le 15 juin, a chargé les avocats de la Collectivité de Corse d’introduire sans délai deux actions en justice, l’une au plan pénal et l’autre en vue d’indemnisation des préjudices subis) et celle des services de l’État est irréprochable, cette nouvelle pollution des côtes corses laisse pourtant un goût d’amertume.
Faut-il rappeler que c’est fortuitement que cette pollution a été repérée, et ce alors que l’Europe a, depuis maintenant de longues années, mis en place des institutions de surveillances et des satellites d’observation. Questions :
- Où étaient les fameux satellites du réseau CleanSeaNet créé en 2007 par la European Maritime Safety Agency (ESMA) de surveillance de la Méditerranée ?
- Que faisaient les agents de REMPEC, chargé par la convention de Barcelone de 1976 dite Convention pour la protection du milieu marin et du littoral de la Méditerranée, de l’application des lois relatives aux pollutions marines ou MARPOL[i] (MENELAS). ?
Faut-il rappeler que, depuis des années, événements similaires, rapports officiels et travaux universitaires alertent les autorités et les élus sur les risques croissants de destruction de l’environnement méditerranéen.
Cette pollution intervient de nouveau alors que des événements semblables dont U Levante avait rendu compte se sont produits récemment[ii] : U Levante s’était associée à la plainte pour pollution par hydrocarbures suite à la collision au-dessus du Rocher des Veuves, au Nord-Est du Cap Corse, le 07 octobre 2018, plainte portée par les associations France Nature Environnement de Provence-Alpes-Côte d’Azur et du Var (FNE PACA et UDVN FNE 83).
Elle intervient alors que l’ensemble des responsables politiques et administratifs des pays européens, dont la France, est alerté depuis des années sur les risques apportés à l’environnement par le trafic maritime : ainsi en 2008, il y a 13 ans, une thèse de madame Sophie Bahé de l’EPHE intitulée « Les pollutions maritimes accidentelles en France : risques, planification, gestion de crise » soulignait que « La Méditerranée connaît une très forte densité de trafic. En effet, si elle ne représente que 1 % de la surface des mers, elle concentre 25 % du trafic maritime mondial, dont 30 % du trafic d’hydrocarbures (carte 7). Le pétrole du Moyen-Orient est exporté à destination de l’Europe et du continent américain via le canal de Suez et le pipeline Suez-Méditerranée, puis via le détroit de Gibraltar. Ainsi, chaque jour, plus de 300 navires franchissent le détroit de Gibraltar, 100 le canal de Suez, 50 le détroit du Bosphore et 6 le détroit de Bonifacio. Au total, près de 2 000 navires sont présents chaque jour en Méditerranée ou dans un port riverain (Préfecture maritime de Méditerranée, 2007) ».Elle soulignait qu’à l’époque plus de 50 % de la population de l’île serait affectés par toute forme de pollution maritime : « (pour) les deux départements Corse, la population résidant dans une commune littorale constitue plus de 50 % de la population totale du département, d’où une extrême dépendance du département vis-à-vis de la qualité du littoral. Cette concentration humaine induit une vulnérabilité démographique, une pollution du littoral ayant des répercussions sur un grand nombre d’individus tant au niveau économique que social. » Au total, Mme Bahé concluait : « la Manche, le Morbihan et la Corse du Sud, (sont) fortement vulnérables aux niveaux physique, économique et démographique et écologiquement très fortement vulnérables. »
En juin 2011 le sénateur Roland Courteau dans son rapport sur “La pollution de la Méditerranée : état et perspectives à l’horizon 2030″ dressait un bilan des différentes atteintes à l’environnement en Méditerranée. Et son rapport n’incite pas à l’optimisme compte tenu de la variété des causes possibles de pollution marine, dont les dégazages sauvages ne sont que l’un des aspects. M. Courteau ( en 2011) souligne : « La quantification de ces rejets illicites en mer est, par nature, difficile à évaluer. L’estimation en varie de 100 000 (PAM) à 200 000 tonnes par an (FIPOL). » Et les évolutions du changement climatique, des contrastes entre développement démographique du sud de la Méditerranée et des pays du nord à l’horizon 2030, des besoins en eau potable n’incitent pas à plus d’espoir. M Courteau conclut : « En première analyse, on peut estimer que les perspectives de l’évolution climatique qui sera acquise en 2030 menacent doublement les milieux naturels marins : par la modification directe de la circulation des courants et le changement des biotopes, et par un apport de contamination plus concentré du fait des tensions sur l’usage des eaux continentales. »
Et si les États et les organisations internationales se concertent depuis des années, mettent en place des dispositifs juridiques, développent des organes et des outils de surveillance, force est de constater que nous sommes toujours dans les prémisses d’une véritable action collective permettant de lutter contre toutes les formes de pollution en Méditerranée. Le rapport Courteau de 2011, après avoir décrit les nombreux textes conventions attestant de la bonne volonté des États du pourtour méditerranéen, le rôle essentiel de l’Europe, notamment en organismes et outils de surveillances, souligne au final le déséquilibre entre les belles intentions et la réalité des actions : « la gouvernance juridique de la surveillance de la lutte contre la pollution sur l’ensemble du bassin reste embryonnaire et dispersée. ». Seules la France et l’Espagne ont développé des réglementations et des sanctions. Que dire lorsqu’en 2011 on peut lire dans ce rapport qu’« Actuellement, le système d’observation satellitaire des rejets illicites géré par l’Agence européenne de sécurité maritime (ESM) est insuffisant. Il ne produit qu’une cinquantaine de photos par an, pas toujours exploitables ». (Pour l’Ensemble de la Méditerranée !!!).
Que dire de l’absence de mise en place commune par les états méditerranéens de sanctions des navires pollueurs : « la très grande inégalité des sanctions applicables en cas de rejets illicites dans les eaux des pays de l’Union européenne (amende de base d’un million d’euros en France et de quelques milliers d’euros en Lituanie, par exemple) est d’autant moins tolérable que l’accord de Montego Bay permet à l’État du pavillon de faire suspendre les poursuites dans le pays victime d’un rejet illicite et de les transférer à ses propres juridictions. »
La situation en 2021 s’est-elle améliorée ? En France se poursuivent des réflexions et des stratégies de lutte contre la pollution en Méditerranée. On peut citer, sans être exhaustif : la Stratégie nationale pour la mer et le littoral, décret 2017-222 du 23 février 2017 véritable réflexion globale sur l’enjeu maritime pour la France, le Grenelle de la mer en 2019, la Cop 21 dont la France assurait la présidence. Mais en pratique ces efforts de la France ne peuvent porter leur efficacité que si l’ensemble des États méditerranéens déterminent une action commune. Et c’est bien là qu’est la difficulté. Et c’est bien là que nous rentrons encore et toujours, alors que notre maison est en feu dans les rituels et les incantations.
Le 13 juillet 2008 était créé l’Union pour la Méditerranée rassemblant quarante-deux pays d’Europe et du bassin méditerranéen : les vingt-sept États membres de l’Union européenne et quinze pays méditerranéens partenaires d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient et d’Europe du Sud-Est. Son secrétariat général se situe à Barcelone. Agir contre la pollution par des hydrocarbures est l’une de ses missions. En pratique son action est tributaire d’équilibres géopolitiques touchant le bassin méditerranéen.
En octobre 2019, les membres de REMPEC se rencontraient et précisaient qu’il fallait enfin rentrer dans le concret des mesures contre la pollution maritime, ce qui ne peut que donner des frissons aux délinquants en puissance :préparer un projet de procès-verbal commun d’observation / de constatation de pollution en mer par les hydrocarbures; d’étudier les modalités de création et de fonctionnement éventuels, y compris en termes de gouvernance et de financement, d’un « Fonds bleu » régional, tel que proposé par la France; d’étudier les sanctions existantes applicables au niveau national en matière de rejets illicites de substances polluantes par les navires; et de préparer un projet de décision en vue d’appliquer des critères pour un niveau minimum commun des amendes pour chaque infraction prévue dans les annexes de MARPOL[iii]
En janvier 2021, dans le cadre du One Planet Summit, la France et ses partenaires lançaient la Coalition pour une Méditerranée exemplaire en 2030[iv]. Étant donné l’urgence, pourrions-nous être convaincus : beaucoup paraissent en douter[v] et s’interroger.
Ne nous trompons pas sur l’enjeu vital que dès maintenant chacun et chacune d’entre nous doivent (enfin) comprendre. La Corse depuis des millénaires tire sa vie de la Méditerranée. Toute atteinte à l’équilibre complexe de notre « mare nostrum » aura des effets à court, moyen et long terme sur la vie en Corse.
Des signes nous interpellent, soit nous citoyens, soit nous élus les négligeons. Alors si tel est le cas, ne disons en pas encore et maintenant que nous aimons nos enfants et petits-enfants à qui nous allons laisser saccagées et détruites cette île et la Méditerranée où nos parents ont travaillé sans ménager leurs efforts et leur amour pour la terre et la mer qui les accueillaient et les nourrissaient. Ne disons pas que nous respectons et vénérons leurs derniers sommeils. Que répondrons-nous à nos descendants, que pourrons-nous dire à nos ascendants ?
[i] MARPOL (acronyme de l’anglais Marine pollution : pollution marine) désigne la Convention internationale pour la prévention de la pollution marine par les navires, élaborée par l’OMI (Organisation maritime internationale) qui date de 1973 et rentrée en vigueur en 1983.
[ii] https://www.ulevante.fr/collision-maritime-au-large-du-cap-corse-plainte-pour-pollution/
[v] https://www.francebleu.fr/infos/environnement/ecologie-qu-est-ce-que-le-one-planet-summit-qui-a-lieu-ce-lundi-a-paris-1610348675