De nombreux travaux épidémiologiques, parmi lesquels les plus convaincants sont les enquêtes transversales répétées sur des populations comparables, ont mis en évidence une augmentation rapide de la prévalence du terrain atopique et des maladies allergiques respiratoires, notamment de l’asthme (Woolcock et al. 1997). À côté ou en synergie avec les facteurs de risque spécifiques (allergènes), le rôle des facteurs non spécifiques (irritants) dans la genèse de cette augmentation de fréquence a été soulevé. Parmi ces derniers figurent les polluants atmosphériques dont la concentration s’est élevée, ou la nature modifiée, pour certains du moins, durant ces dernières années. Sera ici considérée comme “atopie” la réponse IgE-spécifique telle qu’on peut la mettre en évidence par la mesure des IgE spécifiques circulantes ou la réalisation de tests cutanés vis-à-vis des allergènes banals de l’environnement (Pepys 1994).
La réponse à cette question appelle l’examen de différents types d’étude : étude in vitro des polluants sur les pollens et des préparations cellulaires, études expérimentales, animale et humaine, enfin enquêtes épidémiologiques.
Données in vitro
Les interactions des polluants avec les pollens pourraient s’exercer par différents mécanismes
Exacerbation de l’allergénicité des pollens. Cette hypothèse avait été soulevée par le travail de Jileck et al., publié en 1993 (Jileck et al. 1993). Ces auteurs trouvaient davantage d’allergène Bet v1 dans les pollens et les feuilles de bouleaux situés au centre ville de Vienne (Autriche). La même équipe a constaté ultérieurement de grandes variations, d’un arbre à l’autre, de l’allergénicité en fonction notamment de la nature du sol, et n’a pu confirmer ses constatations initiales. Une équipe allemande (Masuch et al. 1997) a publié plus récemment 3 séries d’observations dans le même domaine : le contenu antigénique des anthères et des pollens de plants de graminées, recueillis dans une zone polluée par l’ozone, est plus important que dans une zone industrielle où cette pollution est plus faible ; des plants de graminées en pots sont placés pendant un mois dans la zone polluée par l’ozone ou sous une chambre à ciel ouvert alimentée par de l’air filtré. Le résultat va dans le même sens que dans l’expérience précédente. Enfin, une troisième expérimentation a consisté à prélever l’anthère et les pollens de plants de graminées cultivées dans une chambre à ciel ouvert et exposés pendant 15 jours à de l’air filtré ou de l’air contenant 130µg d’O3/m3 . Là encore, la quantité d’allergène par µg de protéine était plus élevée pour les plants exposés à l’ozone. Mais ces observations ne sont pas constantes. Dans une étude française, durant 2 printemps consécutifs (1994 et 1995) des plants de graminées issues de semis réalisés ont été exposés dans des chambres à ciel ouvert alimentées par de l’air filtré ou de l’air avec une teneur d’ozone durant 8 heures par jour de 80 µg/m3 (Charpin et al. 1997). L’allergénicité des 2 groupes de pollen a été évaluée d’une part par l’analyse électrophorétique bi-dimensionnelle des extraits polliniques, d’autre part par quantification de la réponse immune de souris consécutive à l’injection de l’un ou l’autre extrait. Dans les deux types d’expérimentations, aucune différence significative n’a été observée avec les 2 extraits étudiés. Le choix de l’ozone comme polluant se justifie du fait que les concentrations maximales d’ozone se rencontrent au printemps et en été, lors de l’émission des pollens de graminées. Les résultats obtenus sont donc divergents. Cette divergence peut être liée à la durée d’exposition, au protocole expérimental utilisé et au mode d’appréciation des résultats.
Libération accrue des allergènes hors du grain de pollen. L’incubation de pollens propres avec des extraits de poussière atmosphérique fine entraîne un relargage de matériel protéique à partir du grain de pollen d’autant plus important que l’extrait de poussière est plus concentré (Thomas et al. 1994). Une autre étude allemande (Behrendt et al. 1991) suggère par ailleurs qu’un grain de pollen exposé aux polluants (NO2, SO2 et O3) libère davantage de protéines et que ces grains de pollen sont capables d’induire un relargage d’histamine à partir de leucocytes de patients allergiques, plus important que des grains de pollen contrôlés. En microscopie électronique, un pollen de bouleau exposé à la pollution urbaine a une exine fragilisée et relargue des protéines solubles et des allergènes (PELTRE 1998).
Adsorption des allergènes sur les particules diesel. On a pu montrer (KNOX et al. 1997) que les particules diesel, d’un diamètre de 30 à 60 nm (donc capables de pénétrer dans le poumon profond), peuvent adsorber l’allergène majeur du pollen de graminées, Lol p 1. La même observation a été réalisée à propos de l’allergène majeur du chat, Fel d 1 (ORMSTAD et al. 1998). Ce phénomène explique le mécanisme de l’asthme pollinique jusqu’alors obscur du fait que la taille des pollens n’autorise pas leur passage dans les voies aériennes sous-glottiques.
Action cellulaire des polluants. Les cellules épithéliales bronchiques et les macrophages alvéolaires sont capables de libérer divers médiateurs pro-inflammatoires lors d’expositions contrôlées à des concentrations faibles d’ozone. Par exemple, l’exposition de courte durée (30 mn) à des concentrations réalistes d’ozone (200µg/m3) entraîne une augmentation de la sécrétion de TNFa, puissant agent pro-inflammatoire, et d’IL6 et IL8, par les macrophages alvéolaires humains (ASSALANE et al. 1995). De la même façon, un extrait de particules diesel induit le relargage d’IL1 et de TNFa à partir d’une culture de cellules macrophagiques de rat (YANG et al. 1997) et, dans une autre étude, le relargage d’IL8, de GM-CSF et d’ICAM1 par l’épithélium bronchique de sujets asthmatiques davantage que par l’épithélium de sujets non asthmatiques (BAYRAM et al. 1998).
Expérimentation animale
Toute une série d’études expérimentales, réalisées dans les années 70 et 80, mettent en évidence l’augmentation de la réponse IgE chez l’animal préalablement exposé à un polluant (MOLFINO et al. 1992). La production d’IgE est secondaire à l’activation cellulaire lymphocytaire T locale qui induit une production d’interleukine 4. Les études récemment publiées se sont focalisées sur l’effet des particules diesel : augmentation de la production d’IgE et de cytokines nasales après instillation nasale de ces particules (TAKUFUGI et al. 1987), expression accrue de l’IL5 mais aussi de l’IL4 et du GM-CSF après instillation intra-trachéale chez la souris (TAKANO et al. 1997), infiltration éosinophilique et neutrophilique des voies aériennes et augmentation de la résistance des voies aériennes et de l’ expression de l’IL5 après sensibilisation à l’ovalbumine (MIYABARA et al. 1998).
Expérimentation humaine
De nombreuses études ont été réalisées sur des cellules de lavages broncho-alvéolaires ou sur des modifications éventuelles de la réactivité bronchique non spécifique après exposition aux polluants. Ces études montrent pour des expositions aux particules diesel (Molfino et al. 1991) ou à l’ozone et au dioxyde d’azote (Jörres et al. 1996) une altération de l’épithélium bronchique, une réponse cellulaire alvéolaire de type inflammatoire avec libération de cytokines tels que l’IL-6, l’IL8 et le GM-CSF. Mais les concentrations en jeu sont bien supérieures aux taux mesurés en milieu urbain.
Quatre études récentes mettent en évidence une synergie d’action entre polluant et allergène. La première (Molfino et al. 1991) a consisté à effectuer un test de provocation allergénique, précédé ou non d’une exposition à l’ozone, chez un groupe d’asthmatiques allergiques. Les asthmatiques ont été exposés pendant 1 heure à 0,12 ppm d’ozone, soit une concentration qu’on peut rencontrer en été au pourtour des grandes agglomérations. Globalement, la dose d’allergène nécessaire pour obtenir une chute de 20 pour cent du Vems (PD20) est diminuée de moitié chez les asthmatiques préalablement exposés à l’ozone (fig.2). Jorres et coll. (Jörres et al. 1996) ont effectué le même type de protocole avec exposition à 0,25 ppm d’ozone pendant 3 heures ou air filtré et abouti aux mêmes conclusions. Rusznak et coll. (Rusnak et al. 1996) ont pré-exposé des sujets asthmatiques et allergiques aux acariens avant un test de provocation spécifique. La pré-exposition consistait en l’inhalation pendant 6 heures d’air filtré, ou de NO2 à 0,4 ppm ou de SO2 à 0,2 ppm ou d’une combinaison de ces 2 polluants. Avec ce dernier mélange, la PD20 était réduite de 60 pour cent, traduisant une accentuation de la réactivité bronchique spécifique. Par contre, les modifications spirométriques observées n’étaient pas statistiquement significatives.
Enfin, Strand et coll. ont montré chez 18 asthmatiques allergiques au pollen de graminées qu’une pré-exposition de 30 minutes à une concentration de NO2 de 490µg/m3 potentialise la réponse bronchique à l’allergène, essentiellement la réponse tardive (Strand et al. 1997). L’exposition durant 1 heure à un air pollué par des particules diesel chez des sujets normaux effectuant un exercice physique léger induit une augmentation des résistances des voies aériennes (Rudell et al. 1996).
Un groupe de recherche californien a montré successivement : que des lymphocytes B provenant du sang périphérique et des amygdales ont une production accrue d’IgE lorsqu’ils sont soumis à un extrait de particules diesel (Takena et al.). Chez l’homme sain, l’instillation nasale de particules diesel à concentrations réalistes provoque une augmentation dose dépendante des IgE dans le liquide de lavage nasal ainsi qu’une augmentation du nombre de cellules produisant des IgE chez des patients sensibilisés au pollen d’ambrosia. Après provocation nasale, combinant l’allergène spécifique et des particules diesel, on voit apparaître des cytokines de type TH2 (Diaz-Sanchez et al. 1994, Diaz-Sanchez et al. 1997). Les particules diesel, chez l’homme comme chez l’animal, augmentent la production par des cellules épithéliales de cytokines pro-inflammatoires (Wang et al. 1999). Enfin, l’administration nasale de 0,3 mg de particules diesel, 24 heures avant l’administration intra-nasale d’un néo-antigène provenant d’un mollusque marin, entraîne une sensibilisation vis-à-vis de ce néo-antigène chez 6 des 10 sujets atopiques testés, alors que l’administration isolée de ce néo-antigène n’entraîne qu’une réponse de type IgG (Ohtisi et al. 1998). Ces travaux expérimentaux, réalisés chez l’animal et chez l’homme, s’accordent pour suggérer que les particules diesel contrairement à des particules inertes de carbone, pourraient potentialiser voire initier la réaction allergique. Les hydrocarbures aromatiques polycycliques, constituants des particules diesel, pourraient représenter le vecteur de cette action (NEL et al. 1998).
Données épidémiologiques
Les données épidémiologiques sont moins convaincantes que ces données expérimentales, en l’état actuel. La comparaison de la prévalence des maladies allergiques respiratoires et de la prévalence de l’atopie a pu être effectuée dans trois situations différentes :
Les comparaisons milieu urbain — milieu rural mettent en évidence un surcroît d’atopie et de rhinite allergique en milieu urbain mais la différence est-elle en relation avec la pollution urbaine ou, plus globalement, avec le mode de vie urbain (Charpin 1996) ? Plusieurs études épidémiologiques récentes (Lewis 2000) mettent en évidence un facteur protecteur net vis-à-vis de la rhinite et de la conjonctivite allergiques, de l’asthme et de la sensibilisation allergique, en relation avec la vie à la campagne au contact avec les animaux de la ferme.
Les comparaisons Est-Ouest montrent clairement un surcroît d’atopie et de maladies allergiques respiratoires dans les pays occidentaux par rapport aux ex-pays du bloc soviétique. Deux études comparatives récentes (Nicloaï et al. 1997, Bjösten et al. 1998) aboutissent aux mêmes conclusions. Ce constat avait conduit à réfuter, peut être un peu rapidement, le rôle possible de la pollution chimique dans la survenue de ces maladies allergiques car elle était nettement plus élevée dans les pays d’Europe centrale étudiés. Plus que le niveau de concentration des polluants issus de la pollution industrielle traditionnelle, la nature de la pollution chimique rencontrée en site urbain ouest européen, et les modalités de son interaction avec l’environnement allergénique et microbiologique des personnes, particulièrement des enfants, méritent sans doute d’être analysées de manière plus approfondie.
Les comparaisons réalisées dans les pays occidentaux mettent en effet en évidence une prévalence accrue de rhinites allergiques et de sibilants thoraciques chez les enfants vivant près des voies à circulation automobile intense (Wjst et al. 1993, Weiland et al. 1994). Pourtant, Zwick et coll. (Zwick et al. 1991, Zwick et al. 1991) ont étudié 218 enfants âgés de 10 à 14 ans vivant en zone polluée ou peu polluée par l’ozone, sans pollution associée par SO2 ou NOx, dans les deux zones sans montrer de différence de prévalence des symptômes respiratoires ni de l’atopie d’après les test cutanés allergologiques. La seule différence consistait en une réactivité bronchique plus élevée en zone polluée. Dans la région de Marseille, une enquête épidémiologique transversale auprès de 2 500 enfants âgés de 10 et 11 ans, résidant dans une zone géographique fortement polluée par l’ozone (CHARPIN et al. 1999) n’a pas montré de lien entre le pourcentage d’enfants atopiques (atopie définie par la positivité des tests cutanés taux moyen et aucun des polluants gazeux mesurés (O3, NO2, SO2), après prise en compte des facteurs de confusions potentiels. De même, l’étude SAPALDIA (WUTHRICH et al. 1994) réalisée auprès de 8 000 adultes vivant dans 8 cantons suisses à niveaux de pollution contrastés, ne met en évidence aucune association entre terrain atopique (défini par la possibilité des tests cutanés ou des Rast vis-à-vis des allergènes communs) et le taux moyen de pollution (polluants gazeux et particules fines). En revanche l’importante étude inscrite dans la cohorte californienne des adventistes (étude “Ashmog”), après un suivi individualisé de quinze ans, montre une association forte (les risques relatifs sont de l’ordre de 2 à 4 selon les analyses) entre exposition cumulée à l’ozone et incidence de la maladie asthmatique chez les hommes, mais non chez les femmes (McDonnell et al. 1999).
En résumé, il existe une discordance entre les données fondamentales qui montrent une synergie d’action entre polluants et allergènes et les résultats épidémiologiques disponibles qui ne mettent pas clairement en évidence davantage d’atopiques et d’asthmatiques en zone polluée. Il est possible que les progrès en cours dans la mesure de la pollution qui peut maintenant être réalisée à l’échelon individuel modifient nos conceptions sur cette question. Il est par ailleurs fort probable que les grandes enquêtes épidémiologiques internationales en cours (Ecrhs et Isaac) mettent à jour l’intervention d’autres facteurs de risque qui permettent de mieux comprendre les raisons, sans doute très multifactorielles, de l’augmentation de la prévalence des maladies allergiques. Le rôle facilitateur de la pollution chimique sur l’expression des manifestations allergiques chez des sujets prédisposés est encore à évaluer. Cette importante question de santé publique reste donc très ouverte en l’état actuel des connaissances.