Or les bénéfices qu’un constructeur tire d’une construction illégale sont eux-mêmes illégaux : une intéressante décision de la Cour administrative d’appel (affaire SCI de Piantarella/commune de Bunifaziu/Corse).
L’affaire dure depuis plus de 20 ans ! Le 3 avril 1992 la commune de Bunifaziu accorde un PC à la SCI Hameau de Piantarella pour la construction sur le site remarquable de SPERONE-PIANTARELLA de 20 bâtiments représentant 90 logements, à usage d’habitation, soit une surface hors œuvre nette totale de 10 140 m2.
« Dans les faits, l’ensemble de la zone est contrôlé par une seule personne physique agissant au travers de diverses sociétés en vue de la réalisation d’une vaste opération d’aménagement touristique complétant des équipements déjà réalisés tels le lotissement de Sperone et le golf du même nom. » Conclusions du Commissaire du Gouvernement, extrait.
Piantarella est pourtant un espace remarquable de la loi Littoral :
1968 : une procédure de classement des îles Lavezzi et de Piantarella est engagée; elle se poursuit en 1978.
1986 : La commission des sites émet un avis défavorable aux projets de construction de Dewez et demande le classement de l’étang de Piantarella et de ses abords.
1987 : le préfet François Garsi signe, deux jours avant son départ, l’autorisation de construire ; José Rossi et Jean-Baptiste Lantieri s’opposent au classement du site.
Et pourtant ! « Il m’apparaît que le site de Piantaredda est unique et certainement au moins caractéristique du littoral corse, sinon remarquable. Rien dans la topographie ne permet de séparer le sommet des coteaux dominant la mer du pied de ces coteaux, c’est-à-dire le rivage et les étangs. Cet ensemble appartient à une région classée comme « grand site naturel » du Schéma d’aménagement de la Corse, etc. » Conclusions du Commissaire du Gouvernement, extrait.
Le 3 juin 1992, l’Association de Défense de Protection et de Valorisation du Patrimoine Naturel et Historique Corse (A.D.P.V.N.H.C.), agissant pour la préservation du cadre de vie naturelle et culturelle de la Corse, conteste ce PC devant le Tribunal administratif de Bastia.
Après moult turbulences, ce PC est déclaré illégal et est annulé par la Cour administrative d’appel, le 12 octobre 2000, annulation confirmée par l’arrêt du Conseil d’État du 14 novembre 2003. Mais la démolition n’est pas obtenue et les appartements des immeubles sont vendus ou loués … à prix d’or.
Cela ne suffit pas à la SCI (rapacité quand tu nous tiens…). En avril 2008, la SCI de Piantaredda, estimant que la commune avait commis une lourde faute en lui délivrant un permis et qu’elle avait subi un lourd préjudice financier, ose assigner la commune devant le tribunal et demande une indemnité de 15 millions d’euros.
Par jugement en date du 17 mars 2011, le tribunal administratif de Bastia rejette cette demande et la Cour d’Appel, le 16 janvier 2014, vient de confirmer* : la commune n’a pas à indemniser la SCI.
Le neuvième considérant est particulièrement intéressant :
« 9. Considérant, en troisième lieu, que, du fait de l’annulation pour excès de pouvoir de son permis de construire, la société doit être regardée comme n’ayant jamais obtenu un droit à construire ; que, par suite, le bénéfice qu’elle aurait pu retirer de la construction envisagée serait résulté d’une opération elle-même illégale ; qu’elle ne saurait dès lors, en tout état de cause, prétendre à être indemnisée de la perte de son manque à gagner qu’il s’agisse de son bénéfice escompté ou de la perte du produit des ventes en l’état de futur achèvement”.
Ainsi les bénéfices qu’un constructeur tire d’une construction illégale sont eux-mêmes illégaux. Or ils sont réels et perçus ! A Piantarella, un studio pour 1 à 2 personnes se loue par semaine entre 810 € et 2 280 € selon la saison. Intéressant, non, pour une construction illégale ?
Dans cette affaire, l’ État et la municipalité d’alors ont été gravement fautifs… et les immeubles sans permis ont ruiné l’espace remarquable et continuent de surplomber l’étang et la réserve naturelle des Iles Lavezzi. Un gâchis total.
En Corse, depuis des lustres, les préfets n’appliquent pas la loi, de nombreux maires ne l’appliquent pas non plus… Et leurs actions ont toujours favorisé des « people » et/ou des personnes très fortunées ou influentes démontrant la réalité du nouveau proverbe : “Quand on a des relations on arrive à faire ce qu’on veut, où on veut.” Ainsi a-t-on vu fleurir des dizaines de villas holywoodiennes et des résidences grand luxe dans des lieux pourtant inconstructibles. Alors que parallèlement les services de l’État s’acharnent parfois sur un pauvre pétitionnaire pour une simple couleur de volet. Fort heureusement la justice ne leur emboîte pas le pas mais arrive le plus souvent trop tard.