La dernière publication de Mediacité (1), journal en ligne partenaire de Mediapart, laisse penser que l’utilisation des produits phytosanitaires a encore un bel avenir en France. Mediacité dévoile les chiffres de la banque nationale des ventes des distributeurs (BNV-d) par département. On apprend que malgré les connaissances actuelles sur les dangers des pesticides, en 2016 la France a injecté dans son environnement plus de 68 000 tonnes de produits phytosanitaires (4 000 de plus qu’en 2009). Les grandes régions où l’agriculture industrielle règne en maître sont les plus consommatrices. Entre 2009 et 2016, la moyenne nationale par département est de 5 353 tonnes de produits phytosanitaires vendues. La Marne par exemple totalise des ventes supérieures à 321 % de la moyenne nationale.
Le glyphosate, tueur d’abeilles et classé cancérogène par le CIRC, arrive très largement en tête des ventes et, plus alarmant, au lieu de reculer les volumes de vente sont en nette augmentation (plus de 30 % entre 2009 et 2016). Avec une augmentation de plus de 6 % du volume des ventes des produits phytosanitaires entre 2009 et 2016, le plan écophyto (créé en 2008 suite au Grenelle de l’environnement) qui affichait la réduction de 50 % de l’usage des pesticides à l’aube de 2018 est en situation d’échec. Tenant compte d’une consommation de produits chimiques de 3,8 kilos par hectare de Surface agricole utilisée (SAU) en 2000 et 3,6 kilos/ha en 2016, Mediacité repousse à 2025 l’objectif de réduction affiché par la France.
Et en Corse ?
Selon l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse (2), la Corse présente, en 2015, 83 % des masses d’eau superficielle en bon ou très bon état écologique et 93 % des masses d’eau souterraine en bon état quantitatif. Seule la masse d’eau souterraine des alluvions de la plaine de la Marana-Casinca est en état médiocre.
Derrière ce constat “naïf” se cache une vérité bien plus nuancée, car à y regarder de plus près la qualité moyenne des eaux s’est dégradée entre 2009 et 2015 (2), et il y a maintenant moins de 40 % des eaux superficielles en très bon état écologique.
Si la majorité de la pollution semble due à des installations de traitement des pollutions domestiques (stations d’épuration et fosses septiques) non conformes, l’impact des pesticides est un facteur important dans l’évolution de ces eaux de surface, notamment pour les eaux de transition des différents étangs de la plaine orientale.
Pour l’île, si la Corse-du-Sud se révèle peu consommatrice avec seulement 362 tonnes de pesticides achetés sur la période 2009-2016, la Haute-Corse augmente sa consommation chaque année (1). Sur la seule période 2009-2016 et pour ce seul département 1 595 tonnes de pesticides (dont près de 354 considérés comme dangereux) ont été utilisés en agriculture (vigne, céréale, agrumes, légumes, etc.).
La différence entre Corse-du-Sud et Haute-Corse est à chercher principalement dans les types d’agriculture pratiqués dans les deux départements. La grande majorité des principaux secteurs arboricoles et de viticoles sont en effet implantés cismonte. Or l’un comme l’autre sont des grands consommateurs de pesticides, et il est dépensé en Corse aux alentours de 4 millions d’euros par an pour les seules viticulture et arboriculture (3).
Dans la liste des produits phytosanitaires achetés en France, Mediapart met en lumière une quarantaine de substances qui présentent un risque possible, probable ou avéré pour la santé humaine (1). En Corse, le listing est aussi dramatique (3) :
Les équipes de “Cash Investigation” et de Francetv info (4) ont dressé un inventaire de ces substances et de leurs risques qui donne froid dans le dos … même pour une région “protégée” comme la Corse.
Cette utilisation n’est pas sans conséquences : une quarantaine de micro-polluants, notamment des pesticides, ont été détectés dans les rivières et étangs de Corse (Antoine Orsini, hydrobiologiste à l’Université de Corse). Des molécules que l’on retrouve dans l’eau mais également dans tous les organismes vivants dont l’humain !
L’état écologique de l’étang de Chjurlinu-Biguglia, réserve naturelle et zone humide d’intérêt international, est ainsi classé comme “mauvais” (2), obtient la note la plus basse du classement, et fait depuis 2015 (enfin!) l’objet d’un Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux et d’un contrat d’étang. La station d’épuration de Borgu a enfin été mise aux normes, mais on peut regretter le peu d’engouement des agriculteurs voisins pour réduire leurs impacts sur la qualité des eaux, les surfaces concernées étant bien moindres que pour les autres étangs de la plaine (2) malgré l’urgence de minimiser les intrants polluants dans cette masse d’eau déjà très fragilisée.
(1) Pesticides: la France toxique; Mediacité; https://www.mediapart.fr/journal/france/091117/pesticides-la-france-toxique
(2) L’état des eaux du bassin corse; Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse; http://www.eaurmc.fr/espace-dinformation/brochures-dinformation/qualite-des-eaux.html?eID=dam_frontend_push&docID=4090
(3) Bassin de Corse : bilan du SDAGE 2010-2015, état initial du SDAGE 2016-2021 ; Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse; http://www.corse.eaufrance.fr/gestion-eau/dce-sdage-2016-2021/documents/2016_11_29TBord2016_v_finale.pdf
(4) Quels pesticides dangereux sont utilisés près de chez vous ?; Cash Investigation & francetv info; http://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/pesticides/enquete-cash-investigation-quels-pesticides-dangereux-sont-utilises-pres-de-chez-vous_1294797.html