Un texte de Dominique Bianconi paru sur https://www.maffiano.com
Lors de nos premiers débats, un de nos amis avait posé le principe suivant : « la mafia commence avec la pose d’une chaise sur la chaussée pour s’accaparer d’une place. » Et effectivement, suivant le vieil adage : « qui vole un œuf, vole un bœuf », on peut se dire que l’innocente chaise posée sur la chaussée, est une première marque de la privatisation du domaine public, d’une appropriation au profit d’un seul, et de la volonté de récuser à l’automobiliste lambda le droit de se garer. Imaginons une petite ville X, de celles qui s’éveillent aux premiers rayons du soleil, de celles dont les habitants sortent d’une espèce d’hibernation, prêts à en découdre avec le touriste qui, comme eux mais pas pour les mêmes raisons, pratique l’héliotropisme : voilà ces habitants-là qui s’agitent, qui repeignent leurs locaux, qui y font de nouveaux aménagements, qui cherchent péniblement ailleurs le personnel qu’ils ne trouvent pas sur place et qui, dans leur agitation frénétique, se mettent à grignoter, à ronger le domaine public, sans souci ni du public, ni des nuisances imposées au voisinage : moteurs de climatisation envahissants, déversant leur eau morveuse dans la rue, escaliers bâtis sur le domaine public, rues étrécies par l’invasion des tables et des chaises, places condamnées au public pour les mêmes raisons, arbres supprimés pour une table de plus, transats et parasols si étendus sur le sable, qu’il faut transformer les poussettes en chars amphibies pour emmener les gamins à la plage…etc. Les communes constatent les excès, ont parfois des velléités de sanctions, et puis…Et puis, on est toujours au lendemain ou à la veille d’une élection, et le bon vieux clientélisme marche toujours, que l’on en soit les bénéficiaires directs, ou indirects : certains refusant de « marcher dans la combine » au nom de leur idéologie, mais acceptant de bon cœur l’influence de ceux dont la fonction est de se salir les mains. Quant à l’Etat…il est en mauvais état, l’Etat, bien qu’il essaie de nous faire croire qu’il est toujours fort, et « de droit ». Chez nous, l’Etat nous joue le remake de « le sous-préfet aux champs » de Daudet, mais en moins poétique. Bien entendu, tous ces petits arrangements, ces accommodements sont largement commentés : par le lapidaire « Vergogna » sur les réseaux sociaux, par les elliptiques : « sempre listessi » ou « robba di sacchetta » au cours de conversations « entre nous, ch’ella ùn sorti di quì », commentaires qui traversent la ville à la vitesse de l’éclair, laissant dans leur sillage leurs relents d’envie et de médisance. Pendant ce temps-là, sortent de terre des lotissements sur des espaces où ils n’étaient pas prévus, lotissements qui ne répondent en rien aux besoins de la population locale (ils ne sont pas conçus pour ça), Pendant ce temps-là, il arrive que deux candidats répondent à un appel d’offres, puis l’un des deux s’efface dans la phase finale sans que l’on sache pourquoi (la loi de la sélection naturelle), Pendant ce temps-là, une famille qui veut vendre une propriété familiale au prix du marché, voit les acheteurs potentiels se décourager les uns après les autres après avoir demandé un certificat d’urbanisme, jusqu’au moment où se présente l’acheteur idéal, celui qui, vraisemblablement a reçu l’agrément…De qui ? Acqua in bocca ! Pendant ce temps-là, un employé constate que la secrétaire du maire fait ses achats sur le compte de la mairie, s’en émeut, et se retrouve « placardisé », Pendant ce temps-là, s’édifient des Dallas nustrali, où le pétrole est remplacé par quelques touristes sélectionnés selon leurs comptes en banque, édification sans permis bien sûr, et sans contrôle puisque les contrôleurs n’ont pas accès à l’objet du contrôle : Dallas est une sorte d’enclave autonome, hors des lois communes… « Dal- las, ton univers impitoya-able… » Quel lien, direz-vous, entre quelques malheureuses chaises sur le domaine public, et ces exemples de prédation assez terribles : L’im-pu-ni-té ! Pour les uns comme pour les autres : im-pu-ni-té ! Indulgence générale ! Ou indifférence…Le résultat est le même : l’impunité des uns nourrit l’impunité des autres, entraîne un accroissement des actes délictueux, suscite chez le citoyen un accablement, le sentiment d’une fatalité inéluctable ! Rassurez-vous ! Rien de tout cela n’existe : il s’agit juste de quelques notes préliminaires au roman noir que nous nous apprêtons à écrire : « Romanzo criminale ? » Non, le titre est déjà pris ! De plus, il arrive que la réalité dépasse la fiction…. |