Alexandre Meinesz vient de publier un essai “révolutionnaire” : « Protéger la Biodiversité marine » aux éditions Odile Jacob (Paris). Alexandre Meinesz est Professeur émérite à Université Côte d’Azur. Spécialiste des algues, il a été le lanceur d’alerte de l’invasion de l’algue Caulerpa taxifolia dans les années 1990. Il a été membre de plusieurs comités scientifiques de réserves naturelles marines dont Scandula et siège à celui des Bocche di Bunifaziu. Son livre « protéger la biodiversité marine » bouleverse bien des idées reçues sur les atteintes au milieu marin et sur la protection de la biodiversité marine.
Quelques extraits, pages 109-110 et 278 à 298
“La croissance de la population mondiale augmente le tourisme de masse et une forte attraction pour les sites naturels. La surfréquentation estivale des plus beaux sites naturels des côtes françaises est déjà constatée comme à Scandola, sur les îles Lavezzi, à Porquerolles dans le parc national de Port-Cros et à l’est de Marseille dans le parc national des Calanques. Cette évolution est inéluctable. Les foules de visiteurs modifient les milieux naturels du littoral. Les gestionnaires de ces sites sont confrontés aux lobbies (comme les bateliers) qui exploitent ces richesses naturelles en favorisant leur accès sans aucune limitation. Ils incitent les gestionnaires à aménager les espaces naturels pour faciliter et sécuriser l’accès aux touristes. Les plus beaux espaces naturels littoraux terrestres et marins sont ainsi petit à petit dénaturalisés. Or la nature doit s’apparenter à un bien culturel, un patrimoine, à défendre et à respecter. Il convient ainsi d’appliquer aux visiteurs des sites naturels remarquables surfréquentés les mêmes contraintes imposées par les grands musées nationaux. Pour chaque site où la surfréquentation est devenue dommageable pour la biodiversité, des quotas de visiteurs devront être définis. Les touristes seraient ainsi contraints de s’inscrire au préalable auprès des structures de gestion des sites naturels et les visites soumises à une contribution financière destinée à assurer la surveillance et l’équipement des zones mises en danger par les afflux de visiteurs. L’objectif est de pouvoir observer une nature protégée et gérée, dans des conditions agréables de fréquentation contrôlée”
“Le qualificatif d’aire marine protégée regroupe des zones aux statuts très distincts. Certaines sont affichées comme ayant un but de protection et d’autres de conservation. Cela est ambigu : comment protéger sans conserver et conserver sans protéger ? En fait, il y a confusion entre la cogestion d’une surface marine par l’État, les collectivités territoriales littorales et les usagers de la mer et la réelle défense de la biodiversité d’une surface marine par une contrainte de non-prélèvement. La cogestion d’un espace marin a pour objectif très utile d’harmoniser l’utilisation de la zone marine entre les différents usagers de la mer dans le respect de l’environnement marin. Devant les côtes méditerranéennes françaises, 42 sites Natura 2000 et 2 parcs naturels marins, doivent être considérés comme étant cogérés mais absolument pas protégés. … Chaque espèce protégée par la loi doit l’être où qu’elle se trouve et les mesures appropriées pour les protéger doivent être mises en place partout.“
“En fait, il semble que les 44 zones cogérées aient été mises en place avec un impératif évident. Il s’agit de couvrir un maximum de surface d’eaux territoriales et même de la zone économique exclusive surtout au-dessus des plus grandes profondeurs (zones les moins revendiquées par la pêche professionnelle traditionnelle). Les termes inappropriés et ambigus d’aire marine protégée, utilisés pour nommer ces zones, permettent d’honorer les engagements des grands accords internationaux pour soi-disant sauvegarder la biodiversité marine.”
“L’énumération déjà compliquée des divers types ou statuts d’aires marines protégées cache une situation encore bien plus complexe dès lors que l’on constate que ces zones se superposent souvent. Par exemple, autour du Cap Corse un immense parc naturel marin couvre en totalité ou en partie quatre sites Natura 2000 jointifs. Eux-mêmes recouvrent deux cantonnements, une réserve naturelle et une zone protégée par un arrêté de biotope (dont le tracé ne protège même pas ce qui était prévu : un plateau récif de posidonies). L’ensemble est englobé dans le Sanctuaire Pelagos. Qui gère quoi dans une surface protégée incluse dans une autre ? “
“Fin 2020, dans les eaux territoriales des côtes françaises de la Méditerranée (24 737 kilomètres carrés) l’ensemble des zones strictement protégées ne couvre que 86 kilomètres carrés, soit moins de 0,6 %. Sont comprises dans ces calculs les deux plus grandes réserves intégrales ne méritant pas le qualificatif de zone naturelle. L’une concerne la zone du canyon profond de la Cassidaigne près de Marseille (27,9 kilomètres carrés) qui présente quelques parois rocheuses profondes très riches, mais où sont encore déversés (depuis 1960) les rejets pollués du traitement des minéraux d’alumine d’une usine de Gardanne. L’autre (l’archipel du Riou, 10 kilomètres carrés), située également dans le parc national des Calanques, a été créée juste devant le plus grand déversoir en surface des eaux urbaines des côtes françaises de la Méditerranée (provenant de la métropole de Marseille et d’un cours d’eau serpentant dans des zones industrielles) ; toutes ces eaux sont actuellement épurées mais pas tout à fait dépolluées. En déduisant ces deux zones polluées du bilan, les zones naturelles de protection intégrale bien surveillées ne représentent que 0,4 % des eaux territoriales françaises de la Méditerranée. Même en incluant les réserves intégrales faiblement surveillées (les cantonnements et les concessions) la protection « forte » des zones marines représente moins de 0,7 % des eaux territoriales. Nous sommes très loin des objectifs affichés pour 2030 (10 % des eaux territoriales devront être strictement protégées).“