12 JUILLET 2020 – MOTION N° 2020-16
Motion relative à la réserve naturelle nationale de SCANDOLA
Le Conseil national de la protection de la nature,
Vu le code de l’environnement, notamment ses articles L. 332-1 et L. 332-2, R. 332-1 et R. 332-9 ;
Vu le code de l’environnement, notamment ses articles L. 134-2 et R. 134-20 et suivants ;
Vu le code des relations entre le public et l’administration, notamment ses articles R. 133-4 à R. 133-14 ;
Vu la loi n°2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, notamment son article 2 ;
Vu le décret n°2017-342 du 17 mars 2017 relatif au CNPN ; Vu l’arrêté de nomination au CNPN du 21 mars 2017 ;
Vu le règlement intérieur adopté par délibération du 30 octobre 2018,
La Réserve naturelle nationale de Scandola, créée en 1975, s’étend sur 1669 ha terrestres et marins. Ce site, inclus dans le Bien du Patrimoine mondial « Golfe de Porto : calanche de Piana, golfe de Girolata, réserve de Scandola », est considéré par tous les spécialistes comme un sanctuaire littoral de niveau international. Les nombreux travaux scientifiques menés sur ce site correspondent aux plus anciennes séries de données réalisées dans un espace protégé français. Ces travaux ont tous mis en évidence la qualité exceptionnelle de son patrimoine géologique, paysager et biologique. La réglementation de la Réserve est complétée par la possibilité de prises d’arrêtés préfectoraux réglementant la circulation, et notamment la navigation et le mouillage.
Aujourd’hui la partie marine de la Réserve naturelle nationale est menacée par le développement rapide et incontrôlé de la fréquentation (bateaux à moteur et voile) de plaisance et surtout des bateaux de promenade pour touristes. Le passage incessant de bateaux de plus en plus puissants et de plus en plus nombreux (plus de 400 par jour depuis 2014) a un impact avéré sur la biodiversité de la Réserve, d’autant plus que les navires de plaisance stationnent à l’aplomb des falaises et que souvent les capitaines commentent les sorties avec des hauts parleurs.
Cette fréquentation se traduit par le dérangement de la faune emblématique, qui déserte ce site sensé être protégé : c’est le cas des mérous, des dauphins et des corbeaux de mer, dont la réserve accueillait les plus fortes densités de Méditerranée, et des oiseaux, dont l’emblématique Balbuzard pêcheur, pour lequel la Corse accueille 50 % de la population méditerranéenne. On constate aussi une dégradation de certains habitats marins notamment l’Herbier de Posidonie et les Trottoirs de Lithophyllum… La Réserve a perdu son rôle de zone de quiétude pour la faune terrestre et marine et ses capacités pour l’avifaune reproductrice régressent d’année en année.
Ces atteintes au site sont démontrées dans le rapport de « L’étude et la caractérisation de la fréquentation maritime et son impact sur l’herbier de Posidonie, le peuplement de poissons et le Balbuzard pêcheur dans la RN de Scandola (GIS Posidonie – Université Aix-Marseille) », ainsi que dans différentes publications scientifiques dont la thèse sur le Balbuzard de Flavio Monti, soutenue en avril 2015 «Scale-dependent approaches in conservation biogeography of a cosmopolitan raptor : the Osprey ».
De même, dans son rapport d’expertise au Conseil de l’Europe, M. Olivier Biber concluait ainsi « La fréquentation incontrôlée de la Réserve par les visiteurs de tous bords et la forte pression sur le milieu sont inadmissibles et incompatibles avec les objectifs de la création de la Réserve naturelle de Scandola et avec les termes de référence du Diplôme européen ». C’est après plusieurs rappels et mises en garde, et au vu de ce constat aggravant, que le Conseil de l’Europe n’a pas renouvelé à ce site son label européen (avril 2020).
L’organisation et la gestion de cette fréquentation touristique nécessitent une réflexion à une échelle plus large et rejoignent les préoccupations actuelles de l’UNESCO et de l’UICN qui considèrent la fréquentation touristique actuelle comme la principale menace pesant sur le « Bien » du Patrimoine mondial du Golfe de Porto. La désignation récente (octobre 2019) d’un gestionnaire du Bien, l’Office de l’environnement de la Corse, devrait enfin permettre d’assurer l’animation et la coordination des différents acteurs intervenant chacun dans leur domaine de compétences, afin d’atteindre les objectifs de préservation du Bien et notamment une meilleure maîtrise de la fréquentation touristique. Elle devrait aussi permettre d’assurer une diversification et une adaptation de l’offre afin de faire diminuer la pression sur la Réserve naturelle nationale de Scandola. Les premiers travaux et les stratégies proposées dans ce domaine par le gestionnaire, depuis sa nomination, vont dans ce sens mais ils doivent encore être confortés et suivis d’effets.
Sur ces perspectives, le CNPN tient à rappeler et alerter le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire sur les menaces qui pèsent toujours sur une de ses plus prestigieuses Réserves naturelles nationales.
Pour que la Réserve naturelle nationale de Scandola puisse jouer pleinement son rôle, il apparaît nécessaire que :
• La procédure d’extension de la Réserve naturelle nationale dans sa partie marine et terrestre soit engagée dans les meilleurs délais afin d’assurer la préservation de cet écosystème exceptionnel. Il faut noter que ce projet déjà ancien est prévu dans le plan de gestion de la Réserve et constitue un des engagements de la nouvelle charte du Parc naturel régional de Corse, gestionnaire du site (voir avis du CNPN du 22/12/2018).
• L’extension de la Réserve ne se traduise pas par un affaiblissement de la protection actuelle du site et reste de niveau national, à la mesure de son importance internationale, afin de répondre aux exigences de l‘Union Européenne, du Conseil de l’Europe et de l’UNESCO.
• La fréquentation du site fasse l’objet d’une réglementation spécifique permettant de limiter qualitativement et quantitativement la circulation et le stationnement des bateaux, avec une zone d’exclusion de toute embarcation dans un rayon de 250 m autour des nids de balbuzards pêcheurs en reproduction. La charte de bonnes pratiques entre les bateliers et le gestionnaire du site Natura 2000 est un premier outil à caractère pédagogique, allant dans le bon sens, mais son bilan devra rapidement être établi afin de mesurer son efficience.
• L’extension de la taxe Barnier sur le transport maritime à l’ensemble des visiteurs soit étudiée et son revenu répercuté sur le budget de fonctionnement de la RNN, afin de donner au gestionnaire de la Réserve les moyens matériels et humains nécessaires pour pérenniser la gestion du territoire à la hauteur des enjeux du site.
• Les gardes de la Réserve puissent compter sur l’assistance des autres polices compétentes (gardes OFB, gendarmerie maritime et terrestre, affaires maritimes, …) pour l’application de la réglementation.
• La fréquentation touristique dans cette région fasse l’objet d’une réflexion plus large dans le cadre du Bien du Patrimoine mondial du Golfe de Porto, afin de diversifier l’offre et faire diminuer la pression sur la Réserve.
• Soit organisé prochainement au CNPN un échange avec le MTES (Direction de l’eau et de la biodiversité et Direction de l’habitat, de l’urbanisme et du paysage) sur le fonctionnement de la Réserve naturelle nationale de Scandola, en présence du gestionnaire.