Que n’a-t-on entendu sur le Padduc pendant la campagne des élections territoriales !
Pour certains, il serait la ruine de la Corse. Trop rigide, trop protecteur, il nous condamnerait au sous-développement. Pire, en réduisant le nombre des terrains constructibles sur le littoral, il serait responsable de la flambée des prix de l’immobilier. A cause de lui, les Corses ne peuvent plus se loger. Quant aux Espaces Stratégiques Agricoles (ESA), ils stérilisent sans raison 105 000 hectares de terres au profit d’agriculteurs introuvables, quand ils ne recouvrent pas des espaces déjà artificialisés, hameaux, lotissements, voire « parkings de supermarché »…
Le Padduc occuperait tellement de place que les maires se trouveraient dépossédés de leurs compétences, privés du droit d’organiser, au profit de leurs administrés, l’aménagement des sols de leurs communes, pris en étau par des règles envahissantes et liberticides.
Curieusement, ces critiques proviennent de ceux qui, il n’y a pas si longtemps, se plaignaient de l’imprécision de la loi Littoral, dénonçaient l’incertitude juridique que cette loi faisait régner en matière d’urbanisme, et qui réclamaient, à cor et à cri, l’instauration d’une réglementation plus détaillée, d’une cartographie plus précise…
Mais, à y regarder de plus près, les candidats anti-Padduc s’inquiètent pour rien. Certains maires ingénieux ont déjà trouvé la parade : il suffit de ne pas appliquer le Padduc, de faire comme s’il n’existait pas, par exemple en retardant la mise en conformité des PLU. En somme, il suffit de ressortir les bonnes vieilles méthodes qui ont permis, depuis trente ans, à des édiles peu scrupuleux de balafrer en toute impunité des pans entiers du littoral corse, au mépris de la loi Littoral, et sous l’œil complaisant de l’État.
Un exemple de cette capacité à biaiser, à jouer avec les règles ? Il nous est fourni par la commune de Siscu, qui a arrêté son PLU le 5 octobre 2016, il y a donc plus d’un an. Depuis cette date, plus rien. Le maire et son conseil freinent sans doute des quatre fers pour approuver définitivement le PLU, et donc le rendre applicable. C’est que visiblement, il gêne certains propriétaires fonciers qui ont des terrains dans des ESA ou dans des espaces remarquables et caractéristiques (ERC), identifiés comme tels dans le Padduc et qui doivent donc devenir inconstructibles dans le PLU.
Et dans l’intervalle, le maire délivre, à tour de bras et dans la plus grande discrétion, des permis de construire dans ces zones. Ce qui est pris n’est plus à prendre. C’est la ruée avant la fermeture des portes. Quand le PLU sera adopté, le mal sera fait. Les ESA et les ERC auront été saccagés. Mais la commune de Siscu pourra s’enorgueillir d’un PLU conforme au Padduc…
Qu’on juge l’étendue du massacre :
A – Les contours des parcelles sises sur des ESA ont été reportés sur la carte n° 9 NE du Padduc :
Force est ainsi de constater que :
- pas moins de 18 permis de construire ont été attribués sur 32 parcelles classées Espaces agricoles stratégiques (ESA du Padduc)… inconstructibles depuis novembre 2015 ;
- 20 parcelles servant d’assiettes à ces permis sont sises en zonages déterminés AS (Agricole stratégique) du PLU arrêté par la commune elle-même ;
- 29 parcelles ne sont pas contiguës à des zones agglomérées (les PC sont donc illégaux à ce titre-là également) et les constructions auront pour conséquence un morcellement des surfaces agricoles ;
- certains PC ont été attribués pour deux maisons ou trois logements ;
- plusieurs de ces parcelles sont déjà en vente sur « Le Bon Coin ». Malgré le Padduc, certains propriétaires ont visiblement su se mettre à l’abri de la ruine…
Au total, ce sont 3 hectares environ de terres agricoles de très bonnes potentialités qui vont être consommés. Mais il y a plus…
B – Les contours des parcelles bénéficiaires d’un permis de construire, sises sur l’ERC Sud, ont été reportés sur la carte du PLU arrêté sur laquelle l’ERC est en bleu sombre.
La commune de Siscu n’a pas résisté à la tentation de déclasser l’ERC de toute l’épaisseur du trait de délimitation des ERC figurant sur les cartes :
Extrait de la cartographie de l’ERC 2B18 du PADDUC : le trait bleu épais (1), qui représente 100 m sur le terrain, matérialise la limite de l’ERC et le trait vert fin (2) le bord externe de cette limite.
Extrait de la planche 2 du PLU : le trait jaune (3) qui limite l’ERC est le choix non justifié de la commune. Le trait vert est défini supra. Entre les deux c’est une surface « sortie » de l’ERC.
Alors que les ERC sont inconstructibles, la commune a accordé de nombreux PC, non seulement dans la bande supprimée de l’ERC du Padduc (zone hachurée) mais également dans ce qu’elle a, elle-même, considéré comme un ERC inconstructible.
A notre connaissance, le Préfet n’a rien trouvé à y redire. Le contrôle de légalité n’a conduit à aucun retrait de PC…
Quant à l’ERC 2B17 au nord de la marine, sa destruction, entamée depuis des années, se poursuit : ci-dessous, image Google-earth 2017
Siscu n’est sans doute pas la seule commune de Corse où se pratiquent de telles manœuvres de contournement du Padduc. On peut en tirer un enseignement principal : quel que soit le caractère protecteur de la norme, celle-ci ne vaut que pour autant qu’elle est appliquée par les communes et communautés de communes. L’instauration d’un contrôle de légalité systématique, rigoureux et efficace constitue donc la pierre angulaire d’un urbanisme maîtrisé. Face à la carence manifeste de l’État en ce domaine, il nous semble indispensable que la nouvelle collectivité unique s’empare du problème en déférant devant les juridictions administratives les autorisations délivrées en violation du Padduc. Il en va de l’intégrité de notre patrimoine naturel et paysager.