Un parc national, une réserve naturelle, un site classé… trois titres prestigieux accordés à la Nature afin qu’elle soit préservée et que sa beauté et sa biodiversité puissent susciter encore longtemps l’admiration de tous. L’article L332-1 dispose clairement qu’il s’agit, dans les réserves naturelles, de la conservation du patrimoine naturel vivant et non vivant. Si la Corse ne possède pas encore de parc national, elle possède plusieurs réserves naturelles et de nombreux sites classés. Citons Scandula, E Bocche di Bunifaziu, Palumbaghja, A Restunica, Bavella…
Ces labels ont deux conséquences pour ces sites :
- Ils bénéficient d’un arsenal de règlements censés mettre en œuvre leur protection et donc leur pérennisation ;
- Ils sont désignés comme des « valeurs sûres » pour tous les médias et les touristes à la recherche -et c’est normal- d’instants d’émotion et de souvenirs merveilleux.
Ainsi pointés du doigt, le label les met en danger. Tous les livres, tous les guides, toutes les publicités, invitent les visiteurs à les découvrir. Les images (prises en hiver) les montrent à l’état sauvage, vierges de touristes. Pendant la période estivale, la réalité est tout autre. Savez-vous que 2 500 personnes fréquentent chaque jour la Haute Restonica en août pendant que l’accès à la plage de Palumbaghja est devenu rédhibitoire et que les « papiers de toilette » jonchent tous les buissons au col de Bavella ? Savez-vous que plusieurs centaines de milliers de personnes visitent Scandula chaque année et que 250 000 personnes ont fréquenté l’île Lavezzu en 2015 ?
Le cas de l’ïle Lavezzu
L’île Lavezzu, joyau de la réserve naturelle des Iles Lavezzi, en 2008
La fréquentation de l’île Lavezzu, fleuron de la Réserve Naturelle des Bouches de Bonifacio, vient une fois de plus de battre tous les records de fréquentation.
De multiples et intensives campagnes publicitaires émanant aussi bien d’institutionnels que de l’industrie touristique, en mettant en avant la beauté exceptionnelle de ces espaces naturels “protégés”, le sable fin et les eaux turquoises, et en sollicitant un public lassé de sites urbanisés, artificialisés, banalisés, sont à l’origine de cette invasion touristique (45 404 personnes la première quinzaine d’août 2015). Dégradations des milieux, piétinement de plantes endémiques, déchets… L’île Lavezzu n’en peut plus !
Afin d’estimer la fréquentation de l’île Lavezzu au sein de la réserve naturelle des Bouches de Bonifacio, plusieurs suivis ont été réalisés par de nombreux comptages visuels et un comptage automatique (écocompteurs).
« La fréquentation de l’île a fortement évolué depuis le commencement de l’activité touristique de la découverte. En 1976, 400 passagers étaient transportés sur l’île. Au fil des années, la fréquentation n’a cessé d’augmenter pour atteindre en 1986, 15 000 personnes, puis, dans les années 90, 100 à 150 000 visiteurs par an. La dernière estimation en date (2015) dénombre une fréquentation annuelle de 250 000 personnes. Ce chiffre ne correspond pas à la fréquentation terrestre uniquement, mais à toute la fréquentation dans l’ensemble du secteur Lavezzi (fréquentation nautique et/ou terrestre). Une estimation pour la fréquentation annuelle terrestre a été faite en 2014, révélant un nombre d’environ 208 000 personnes.
Les visites d’avant-saison ont augmenté de 150 %, la fréquentation atteint son apogée en juillet-août où le nombre de personnes la première quinzaine d’août est de 45 404 personnes. La constante augmentation des visites pendant l’été est nette. »
« Au vu de ces chiffres, l’île semble en surfréquentation et un impact est visible en ce qui concerne les sentiers où il est possible d’observer de nombreuses zones de piétinement intensif et de créations de sentiers secondaires. D’un point de vue paysager, le milieu a tendance à se dégrader avec le temps et semble avoir du mal à se régénérer d’année en année.
Il serait donc envisageable de se poser la question de la capacité d’accueil journalière de l’île en connectant scientifiques et gestionnaires préservant le site et sa biodiversité et, par conséquence, l’économie touristique qu’il génère. *»
- Sources* : « Plan d’intentions paysagères et proposition d’aménagement pour l’île Lavezzu », Braccalenti Nans, OEC, RNBB et Rapport d’activités de la réserve naturelle des bouches de Bonifacio, 2015.
Lavezzu, 11 août 2004
En attente de la navette, déjà en 2004
Devant ce constat, une étude a été commandée qui consiste en un projet de réaménagement de l’île pour canaliser la fréquentation, restaurer les milieux dégradés et donc tenter de limiter l’impact touristique. Elle préconise la mise en place de balisages adaptés, d’aménagements (escaliers, passerelles, platelages de bois, ganivelles) afin de limiter les impacts des visiteurs sur les sites fragiles, et de sacrifier certaines zones pour mieux en protéger d’autres plus sensibles (cœurs d’habitats, zones importantes pour des espèces menacées et/ou protégées, etc.)
Mais, si les mesures de gestion restauratoire permettent de diminuer l’ampleur des impacts de la fréquentation, ces techniques de génie écologique ne peuvent parfois que traiter une partie du problème, ou n’y remédier que pour un temps.
Or, l’hyper fréquentation dépasse manifestement les capacités d’accueil du site. L’ancien plan de gestion préconisait 150 000 visiteurs. Les niveaux maximums supportables sont largement dépassés.
Toujours d’après cette étude : « En ce qui concerne la satisfaction touristique, 20 % seulement des visiteurs sont très satisfaits et 30 % sont dérangés par une affluence touristique trop importante. » De fait, les retours perçus par les différents acteurs sont de plus en plus négatifs. L’attractivité du site va s’en trouver amoindrie, risquant d’entraîner à terme la dégradation de son image et une certaine désaffection.
Le seuil d’équilibre entre conservation et fréquentation est donc aujourd’hui dépassé dans les deux réserves naturelles les plus emblématiques et les plus fréquentées de Corse, Scandula et Lavezzi.
L’Office de l’environnement de la Corse et les gestionnaires des réserves semblent avoir pris la mesure du problème et ont déclaré ne plus faire de publicité. Pour que cette décision soit cohérente, les Offices du tourisme et les communes concernées devraient impérativement adopter la même consigne sur leurs sites internet, blogs, pages Facebook très consultés.
Pour ces deux réserves, c’est essentiellement le nombre de rotations des sociétés de promenade en mer qui pose problème ainsi que le comportement de certains (sirènes, haut-parleurs…). En augmentant chaque année ce nombre, les bateliers tuent leur « poule aux œufs d‘or »…Les gestionnaires (organismes publics) doivent absolument intervenir afin que les activités économiques ne mettent plus en danger ces joyaux, patrimoine de tous.
À l’heure où le développement durable d’une destination est perçu comme une priorité, certains acteurs n’hésitent pas à adopter des mesures fortes afin de contrôler, voire limiter par un quota les flux de touristes. Même si elles peuvent déplaire à l’industrie touristique, ces mesures sont devenues indispensables afin que soient assurées la préservation des sites et la pérennité de la destination.