Un sentier littoral à Murtoli ?

Une enquête publique est en cours. Son objectif ? un sentier littoral piétonnier sur le littoral de Murtoli, entre l’estuaire de l’Ortolo et la pointe de Murtoli.  Chacun s’en réjouira… si, et seulement si des modifications conséquentes sont apportées au niveau des “Grandes maisons” appelées “bergeries”.

Ci-dessous le résumé des observations adressées à la Commissaire-enquêtrice par les associations U Levante, ABCDE, U Polpu, GARDE.

Carte de la Direction départementale des territoires et de la mer  (DDTM) :

Vue aérienne Google Earth de juin 2014

Le tracé proposé en l’état est inaccessible puisque le chemin allant à la plage de Tralicettu n’existe pas. Au niveau de l’Ortolo, l’accès n’est pas possible non plus : aucun accès public n’existe et, pour les piétons qui viendraient de Roccapina, il leur faut traverser l’embouchure. Les accès transversaux doivent donc être ouverts.

Le tracé proposé par la DDTM a été souligné en rose, celui proposé par les associations en jaune.

 

Cette proposition de tracé se base sur le sentier existant et dessiné en pointillés sur la carte IGN de 1978.

A -REMARQUES PRÉALABLES : Les Protections légales 

La notice rappelle que la zone concernée par la servitude de passage comporte le Site Natura 2000 Fr 9400593 « Rocapina-Ortolo », l’APPB Fr3800145 « Basse vallée de l’Ortolo », la Znieff type 1 940030773 « Pointe de Murtoli, pointe de Cala Barbaria, pointe du Greco », les Espaces remarquables et caractéristiques (ERC) au titre de la loi littoral, répertoriés sous les fiches 2A 47 et 2A 48 de l’annexe 7 du Padduc 2015.

Mais aucune carte n’est fournie. Leur étude est cependant nécessaire : la zone des grandes maisons a été exclue des différentes protections, sauf de l’ERC. Cette zone a donc été considérée par la DREAL, depuis plusieurs années, comme sans valeur écologique…

B – LE SENTIER DDTM EST TRÈS ELOIGNÉ DE LA MER, IL N’EST JAMAIS SUR LA « SERVITUDE DE DROIT ».

Quel est le droit applicable ?

En application de l’article L 121-31 du code de l’urbanisme, « les propriétés privées riveraines du domaine public maritime sont grevées sur une bande de trois mètres de largeur d’une servitude destinée à assurer exclusivement le passage des piétons. »

Selon l’article L 121-32 du même code, l’autorité administrative peut (…) « modifier le tracé ou les caractéristiques de la servitude, afin, d’une part, d’assurer, compte tenu notamment de la présence d’obstacles de toute nature, la continuité du cheminement des piétons ou leur libre accès au rivage de la mer, d’autre part, de tenir compte des chemins ou règles locales préexistantes. Le tracé modifié peut grever exceptionnellement des propriétés non riveraines du domaine public maritime ; à titre exceptionnel les suspendre. »

Selon l’article R 1321-13 la servitude de passage longitudinale peut être suspendue, notamment « lorsque les piétons peuvent circuler le long du rivage de la mer grâce à des voies ou passages ouverts au public (…) si le maintien de la servitude de passage est de nature à compromettre soit la conservation d’un site à protéger pour des raisons d’ordre écologique ou archéologique, soit la stabilité des sols ».

Dans le cas présent, la servitude de droit n’est respectée qu’aux points de départ et d’arrivée ! Le tracé est, partout, très éloigné de l’emplacement de la servitude de droit.

C – ETUDE DE LA PORTION A

Autoriser deux autres accès à la mer en utilisant des sentes existantes serait une juste compensation à l’éloignement du tracé proposé par la DDTM.

D – ÉTUDE DES PORTIONS B ET C

D.1 – Le tracé DDTM

Le tracé proposé s’écarte du bord de mer pour rentrer profondément dans l’intérieur des terres et faire un long détour afin de contourner les « Bergeries ».

D.2 –  Le « grand écart » du tracé de la servitude est-il justifié ?

En application de l’article L 121-33, « Sauf dans le cas où l’institution de la servitude est le seul moyen d’assurer la continuité du cheminement des piétons ou leur libre accès au rivage de la mer, la servitude instituée aux articles L 121-31 et L 121-32 ne peut grever les terrains situés à moins de quinze mètres des bâtiments à usage d’habitation édifiés avant le 1er Janvier 1976, ni grever des terrains attenants à des maisons d’habitation et clos de murs au 1er janvier 1976 ». Le chemin passe donc entre le bas de la colline qui domine les « bergeries » et celles-ci, loin de la mer qui n’est même plus visible.

Pour justifier ce tracé, la notice se fonde sur la nécessité de « préserver au maximum ce site classé par ailleurs considéré comme ERC ». Ceci est faux : le site n’est pas « classé ». Ces terres sont, comme on l’a vu plus haut, les moins protégées. L’argument pris en compte est surtout : « les bergeries forment un ensemble cohérent d’habitations saisonnières sur le site dont quelques-unes sont assez proches du rivage. Le passage de la servitude au plus près du rivage et par conséquent à travers le domaine de Murtoli serait de nature à susciter des inconvénients importants pour l’exploitation d’un établissement à vocation « économique et commerciale, compte tenu de la proximité des unités de logement et de la fréquentation attendue qui dépasse le millier de promeneurs en période estivale. Par conséquent, le tracé proposé répond à l’objectif d’intérêt général. »

Ces justifications ne sont pas recevables et constituent une violation des textes susvisés.

  • La protection de l’environnement

C’est effectivement une obligation dans un ERC. Il est curieux que l’auteur de la notice n’ait pas tiré les conséquences de la présence d’une activité hôtelière intense sur ce site remarquable.

Les photos aériennes montrent la présence de voies d’accès aux et entre les « bergeries » qui ont largement dégradé le sol, pourtant protégé en tant qu’ERC, EBC (ainsi qu’APB, ZNIEFF1 et Natura 2000 vers l’Ortolo) .

La photo 17 du diaporama montre que la végétation comprise autour des « bergeries » et de la maison de Mme de Carbuccia est du même type que celle que traverse le chemin depuis l’embouchure de l’Ortolo. On voit mal en effet pourquoi le chemin qui part de l’embouchure de l’Ortolo ne nuit pas à l’environnement sur son parcours mais qu’il y aurait, en revanche, un risque pour la végétation, pourtant identique, mais ni en ZNIEFF, ni en APB, ni en Natura 2000 à partir du moment où ce sentier se rapprocherait de la zone des « bergeries » !

Le long détour, en réalité, n’a pas de justification sauf, effectivement, à « sanctuariser » une privatisation totale de l’espace, crique et plage de Murtoli comprises, réservées à quelques privilégiés et désormais totalement inaccessibles aux simples citoyens pourtant égaux devant la loi comme les clients du « Domaine de Murtoli ».

Force est de constater que ce long détour imposé aux citoyens permet, de facto, de constituer une enclave dans ce site remarquable, enclave vouée aux seuls bénéficiaires de cette hôtellerie de luxe et qui prive les citoyens du droit de pouvoir cheminer sur un sentier en bord de mer dans cette zone aux paysages d’une beauté exceptionnelle.

Affirmer, dans le diaporama, que « le tracé proposé prévoit 3 accès à la mer et permet des vues sur le littoral » occulte le fait que la vue et l’accès sur la crique emblématique située en contrebas de la maison De Carbuccia sont totalement impossibles.

Le problème, c’est que ces « bergeries » n’en sont pas. Elles sont des constructions à vocation hôtelière qui se situent effectivement en plein site remarquable… et  qui  n’ont pas d’existence légale jusqu’à preuve du contraire.

  • L’absence d’existence légale des « bergeries » : conséquences en droit

Pour rendre opposable aux citoyens l’existence de ces bergeries-habitations de luxe à vocation hôtelière, le propriétaire des lieux doit justifier, en application de l’article L 121-33 visé supra, que ces bergeries étaient bien des maisons à usage d’habitation avant le 1er Janvier 1976 (parcelles C 998, 1025, 997).

Or ces constructions n’étaient pas, avant cette date, des maisons à usage d’habitation.

Elles étaient en ruine. L’article L 121-33 n’est donc pas applicable au cas d’espèce.

Ci-dessous, à nouveau, la carte IGN de 1978 indiquant que les 3 grandes maisons sont à cette date à l’état de ruines :

Il appartient en effet, au propriétaire concerné, de prouver qu’avant le 1er Janvier 1976 il s’agissait bien de maisons à usage d’habitation et habitables, habitées au moins un laps de temps, reliées au réseau électrique, etc.

Selon l’article L 121-33, l’institution de la servitude ne peut grever les terrains situés à moins de quinze mètres des bâtiments à usage d’habitation édifiés avant le 1/01/1976 ni grever des terrains attenants à des maisons d’habitation et clos de murs au 1/01/1976.

Faute de pouvoir démontrer que les maisons en cause étaient réellement, au 1/01/1976, des maisons à usage d’habitation, leur propriétaire ne peut opposer aux citoyens le bénéfice de l’article L 121-33.

L’article L 121-32 permet à l’autorité administrative, en présence notamment d’obstacles de toute nature, et afin d’assurer la continuité du cheminement des piétons ou leur libre accès au rivage, de déterminer un tracé qui grève « exceptionnellement des propriétés non riveraines du domaine public maritime. »

Si le sentier ne peut, pour des raisons de sécurité, passer à l’aplomb de la maison De Carbuccia, côté mer, le seul moyen d’assurer la continuité du cheminement des piétons est de le faire passer entre les maisons Canarelli et Carbuccia, sur une piste existante, pour suivre ensuite, à nouveau, le sentier le plus proche du domaine public maritime. Le détour proposé par le Nord n’a pas de justification.

Le tracé proposé par les associations permet au sentier, dans la zone en cause, de rester suffisamment proche du littoral, de voir la mer et d’accéder au domaine public maritime sauf à estimer que cette partie du littoral doit être « privatisée » de fait, compte tenu de l’activité hôtelière exercée par M. Canarelli.

  • L’argument des nuisances à l’activité  hôtelière

Pour pouvoir opposer valablement aux citoyens l’argument lié à l’activité hôtelière, le propriétaire de ce qui n’étaient en fait que des ruines, doit pouvoir justifier des documents d’urbanisme qui l’auraient autorisé à les reconstruire. Faute de quoi ces constructions, au sein d’un ERC, n’ont pas d’existence légale et sont inopposables aux citoyens pour tenter de justifier le tracé en cause.

La notice rappelle, à juste titre, que les zones concernées bénéficient de protection renforcées dues à leur statut, notamment celui d’ERC. En application de l’article L 146-6 du code l’urbanisme seuls sont autorisés dans un ERC, des « aménagements légers ».

Faute de justification, dans le cadre de l’enquête publique, de la légalité des constructions en cause au sein d’un ERC, le propriétaire des lieux ne pourra prétexter les prétendues conséquences néfastes sur son commerce, pour s’opposer au tracé du sentier entre les « bergeries » et la maison de Carbuccia. Si la preuve n’est pas apportée de la légalité de ces constructions, des constructions illégales, jusqu’à preuve du contraire, ne peuvent créer un droit au détournement du sentier du littoral.

  • La satisfaction de l’intérêt gébéral

Selon la notice, ce tracé proposé « répond à l’objectif d’intérêt général (…) tout en préservant, de manière ponctuelle, les nécessités d’une activité économique ».

Il convient de rappeler une nouvelle fois que cette activité économique est fondée sur l’exploitation de bâtiments sans existence légale, jusqu’à preuve du contraire, et qui n’étaient pas des maisons à usage d’habitation avant le 1er Janvier 1976. Il n’est pas davantage contesté par la notice que cette activité hôtelière se situe en plein site protégé.

Soutenir que la fréquentation attendue sur le sentier risque de compromettre cette activité économique en plein site remarquable alors qu’elle repose sur l’exploitation de constructions sans existence légale, n’est pas, en droit, opposable aux citoyens.

Il n’est pas sérieux, dans ces conditions, d’alléguer des « inconvénients importants ».

 Personne n’a contraint le propriétaire des lieux à développer en plein site protégé cette activité ni autorisé, jusqu’à preuve du contraire, leur propriétaire, à transformer des ruines en résidences hôtelières de luxe.

La prise en compte de l’intérêt général justifie, au contraire, le respect du droit à un tracé en bordure du domaine public maritime sauf, en quelque sorte, à vouloir donner une « prime » à l’illégalité. Il y a donc lieu de constater que l’argumentaire visant à justifier le tracé du sentier, loin du rivage, entre la colline située derrière les « bergeries » et celles-ci, n’est, en rien, fondé.

D.3 – Propositions U Levante de modification du tracé de la DDTM

Les associations demandent donc que le tracé emprunte les sentiers  existants ci-dessous soulignés en pointillés jaunes :

E – LA PORTION D

La notice indique que la servitude est maintenue sur le sentier existant parce que la côte y est escarpée rendant dangereux le « cheminement en bordure du rivage ».

Cette justification est légitime. La servitude emprunte, en effet, un sentier existant qui surplombe de près la mer en traversant les parcelles C764 et C126.

CONCLUSIONS :

Il appartient à M. le Préfet de proposer un tracé

  • beaucoup plus proche du littoral en ce qui concerne la zone des « bergeries de Murtoli » comprise entre les parcelles OC 1025, OC 998, OC 997 et OC996,
  • comportant trois autres accès à la mer.

L’accès libre à la mer, objectif principal d’un sentier littoral, pourra ainsi être concrétisé. Un sentier littoral n’est pas un “mare è monti” …  Le tracé proposé par la DDTM, s’il était accepté, pourrait faire “jurisprudence” et causer tout simplement la fin des sentiers réellement littoraux.

Pour consulter l’ensemble du dossier :

http://www.corse-du-sud.gouv.fr/passage-des-pietons-sur-le-littoral-entre-l-a1791.html

Pour participer à l’enquête publique (fortement conseillé !) jusqu’au 24 avril :

ddtm-servitude-murtoli@corse-du-sud.gouv.fr