Questionné sur la délivrance de dizaines et de dizaines de permis de construire sur des zonages déclarés inconstructibles par le TA et la CAA et ce dans de nombreuses communes,
http://www.ulevante.fr/justice-administrative-bafouee-bis-en-corse-du-sud/),
le Préfet MIRMAND déclarait à U Levante le 2 octobre 2013 : «Je ne suis pas lié par les décisions des justices administratives.»
Déjà, le 11 juillet 2011, interrogé sur les causes de l’annulation par la justice administrative de nombreux PLU non déférés par l’État, dont celui de Purtivechju, le Préfet STRZODA déclarait : «Y a-t-il eu défaillance de l’État ? Il s’agit plutôt d’une interprétation différente de certaines dispositions de la loi Littoral et du Schéma d’aménagement de la Corse.»
Le 9 décembre 2014, au cours d’un entretien avec U Levante, le Préfet de Haute-Corse ROUSSEAU balaie la loi Littoral d’un grand geste quand nous la lui opposons car “tout ce qui est une activité économique doit être défendu” et “la doctrine de la Haute-Corse est de ne pas déférer les zonages illégaux anciens repris dans les révisions de PLU même quand ils ne sont pas du tout construits”… la messe est dite !
C’est ainsi qu’en Corse les Préfets de la République une et indivisible jugent les décisions du TA de BASTIA confirmées pratiquement à 100 % par la Cour administrative d’appel de Marseille !
Or les points de vue de ces préfets n’ont strictement aucune valeur juridique, aucun fondement dans un État de Droit. Les Préfets ont l’obligation de respecter et faire appliquer ces jugements ou arrêts. Les décisions du Tribunal administratif s’imposent, même en Corse, à l’Administration, du moins en théorie.
Déjà, le 13/10/ 1988, une circulaire avait rappelé que «l’Administration doit se conformer aux arrêts rendus par les juridictions administratives ou judiciaires, le respect des décisions de justice s’impose avec une force particulière s’agissant de la justice administrative. Celle-ci connaît en effet des litiges opposant citoyens et collectivités publiques et se trouve ainsi amenée, le cas échéant, à censurer des irrégularités ou des abus de pouvoir auxquels l’opinion est particulièrement sensible. Le respect des décisions du juge administratif doit vous conduire d’une part à veiller à la pleine exécution des jugements, arrêts et décisions, d’autre part à n’interjeter appel qu’à bon escient.»
En Corse les préfets qui se succèdent ont une autre vision de l’application des jugements du TA (tout en protestant de leur volonté de les respecter !). Les déclarations précitées des Préfets STROZDA et MIRMAND démontrent à quel point ils relativisent la jurisprudence du TA et de la CAA : simple problème d’interprétation ! Et donc un préfet fait la leçon au TA sur l’interprétation des textes du Code de l’urbanisme ! Et donc un Préfet se permet de n’accorder qu’une autorité relative à un arrêt, définitif, de la CAA ayant confirmé l’annulation totale d’un PLU !
Or des jurisprudences confirment qu’il convient de tenir compte du jugement d’annulation : l’annulation du PLU entraîne l’illégalité des permis antérieurs délivrés dans le secteur annulé. Cela signifie, a fortiori, que les permis délivrés postérieurement sont nuls. Dans les cas qui nous concernent, les préfets ont donc accordé des permis en toute connaissance de leur illégalité.
Les gouvernements qui se succèdent ne cessent de dénoncer «l’omerta», maladie génétique et culturelle des Corses prédéterminés à recourir à la violence malgré un État exemplaire. On était, et on est toujours, en droit d’attendre des plus hauts représentants de l’État de Droit en Corse à ce qu’ils luttent de manière implacable contre cette Mafia qui a fait de la spéculation immobilière son activité favorite. On était, et on est toujours, en droit d’attendre du préfet qu’il respecte et fasse appliquer les décisions du TA. Mais…
La Mafia le sait. Les constructions illégales, mais qui rapportent gros sur le littoral, continuent. Et elle ne craint rien : les demandes de démolition ne viennent-elles pas quasi exclusivement des associations ? La «dérive mafieuse» de la Corse a de beaux jours devant elle !
Premier encart plus juridique :
Un incident est révélateur de l’attitude plus qu’ambiguë du plus haut représentant de l’État en Corse.
Un représentant d’U LEVANTE relève et dénonce une demande de permis de construire à Purtivechju, sur une zone déclarée inconstructible par le TA et la CAA, soumise à l’avis de la commission de consommation des espaces agricoles (CDCEA) qui n’avait pas hésité à donner un avis favorable ! Le Préfet Mirmand répond alors le 11/02/2015 que l’avis de cette commission était «un élément d’aide à la décision mais ne saurait se substituer au RNU (Règlement national d’urbanisme) ou à l’avis du représentant de l’État…». Quelques mois plus tard, devant la même commission et pour le même dossier, M. Courtay, le secrétaire général de la préfecture (représentant du Préfet) « considère qu’on est dans le cas de l’autorité relative de la chose jugée dans la mesure où ce qu’on examine en CDCEA est un cas d’espèce qui doit être confronté à l’interprétation qui doit être faite du RNU et au regard de ce qu’a pu dire le TA, toutefois le TA n’a pas statué sur le cas d’espèce en question.»
Telle est donc la doctrine du représentant du Préfet qui n’a pas pu déclarer une telle absurdité sans le contrôle de son supérieur hiérarchique ! À suivre ce raisonnement juridique», même un arrêt d’annulation rendu suite à un recours pour excès de pouvoir et donc revêtu de l’autorité absolue de la chose jugée, n’aurait en réalité qu’une autorité relative puisque l’arrêt en cause n’a pas, de fait, jugé ce «cas d’espèce» étant ici rappelé que le TA de Bastia a annulé la délibération du 30/07/2009 par laquelle le Conseil municipal de Purtivechju a approuvé son plan d’urbanisme.
Deuxième encart
L’autorité absolue de la chose jugée et ses conséquences sur un jugement d’annulation d’un PLU.
Dans la hiérarchie des normes l’autorité de la chose jugée est un principe supra législatif. Un acte administratif dont l’annulation a été définitivement prononcée par le juge administratif ne peut être validé par l’administration.
«Il n’appartient ni au législateur ni au gouvernement de censurer les décisions des juridictions, d’adresser à celles –ci des injonctions et de se substituer à elles dans le jugement des litiges relevant de leurs compétences.» (C.Constitutionnel N) 80-119 du 22/07/80)
Les jugements de la juridiction administrative, par dérogation au principe de l’autorité relative, bénéficient d’une autorité absolue lorsque, notamment, ils prononcent une annulation sur recours pour excès de pouvoir. Obéit par nature à une telle qualification toute action visant à l’annulation d’un acte administratif unilatéral. L’exception de chose jugée pourra et devra être opposée dès l’instant où l’acte annulé fera l’objet d’une nouvelle requête et cela sans que soit nécessaire l’identité des parties, de cause et d’objet.
L’annulation qui est rétroactive, intervient à l’égard de tous (y compris les Préfets de Corse !) c’est-à-dire que l’acte est retiré de l’ordonnancement juridique et considéré comme n’ayant jamais existé, comme n’étant jamais intervenu.
Les annulations pour excès de pouvoir ont un caractère absolu en raison du caractère objectif de ce contentieux. La chose jugée ne peut être réexaminée ou méconnue par quelque autorité que ce soit et toute personne peut s’en prévaloir : elle est opposable à toute personne (Arrêt Simonet). L’autorité qui s’attache à la chose jugée constitue un élément de la légalité que ne saurait donc régulièrement méconnaître ni l’administration ni la juridiction administrative elle-même. C’est pour ces raisons que le moyen tiré de la chose jugée est d’ordre public et doit donc être relevé d’office par le juge administratif s’il y a lieu. Les décisions dotées de l’autorité absolue s’imposent à toutes les juridictions judiciaires (Cass Civ 2/06/2004) ou constitutionnelle… et au Préfet ! Peu importe qu’un fait nouveau (par exemple une décision du Conseil Constitutionnel) soit intervenu postérieurement à la décision revêtue de l’autorité absolue de chose jugée ou que celle-ci concerne une autre instance que celle dont est saisi le juge civil (Cass 23/10/2007).
Cette autorité absolue s’étend également aux motifs qui sont le soutien nécessaire du dispositif de la décision. «Le Conseil d’État, statuant au contentieux, a annulé la décision implicite du Premier Ministre rejetant la demande de M. Y et du Syndicat CNT tendant à l’abrogation du décret (…) que l’autorité absolue de la chose jugée s’attache au dispositif de cette décision et au motif qui en constitue le soutien nécessaire…» (CE 28/12/2001 N° 205369)